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dans l’intérieur de ce grand corps, si on observe de près les rouages compliqués qui le font mouvoir, on reconnaît un mécanisme purement artificiel, d’une grande puissance sans doute, mais aussi d’une extrême délicatesse, et qui ne peut supporter sans désordre le moindre ébranlement. C’est comme un navire immense auquel il faut pour voguer, après de nombreuses tourmentes, une mer calme et des vents propices. Pour ceux qui croient, comme nous, que, si la guerre a été, à certaines époques, un moyen de servir la civilisation, le premier besoin de cette cause sacrée est aujourd’hui le maintien de la bonne harmonie entre les peuples de l’Europe, ce n’est pas un faible sujet de confiance que de voir un état aussi puissant que l’Angleterre rattaché à la paix non-seulement par des intérêts analogues à ceux des autres pays, mais encore par les exigences les plus impérieuses de sa constitution économique.

La crise de 1847 nous montre, une fois de plus, combien, avec son double besoin de production et d’écoulement, l’industrie anglaise serait désormais impuissante à soutenir un long trouble du crédit. Si nos voisins conservent intact le vieil esprit public qui les a sauvés à d’autres époques, la situation économique, profondément modifiée, n’admettrait plus les mêmes expédiens. On n’aurait plus les mêmes ressources qu’autrefois. L’industrie britannique trouverait-elle, par exemple, comme à la fin du siècle dernier, dans les récentes découvertes de la mécanique, l’occasion de l’essor inoui et de la transformation complète qui lui donnèrent tant d’avance sur les industries rivales ? Le montant actuel des impôts permettrait-il de les quadrupler en quelques années[1] ? Avec une dette consolidée aussi énorme, pourrait-on, dans des temps difficiles, contracter de nouveaux emprunts sur une vaste échelle, à des conditions acceptables, et poursuivre les traditions d’une politique agissant plus par son or que par son glaive ?

Au surplus, cet objet qui nous frappe, ces réflexions que nous suggère la détresse industrielle et commerciale de cette année, ont déjà préoccupé de l’autre côté de la Manche les hommes les plus aptes à discuter et à résoudre de pareilles questions. « Si à chaque accident nous devons emprunter, dit lord Ashburton, tôt ou tard nous aurons à régler fatalement nos comptes ; l’époque seule de cette catastrophe ne peut être précisément indiquée. » D’autres ont clairement exprimé l’opinion qu’une guerre serait le signal de cette catastrophe et entraînerait comme premier résultat la suspension du paiement des billets de la banque d’Angleterre en espèces. Durant l’enquête de 1843, M. Gilbart, auteur d’une Histoire des banques, et administrateur de la banque de Londres et de Westminster, interrogé à diverses reprises par sir Robert Peel et par sir Thomas Freemantle sur l’effet d’une guerre relativement au crédit et à la circulation, répondait de la façon la plus affirmative que la convertibilité des bank-notes en numéraire devrait être immédiatement arrêtée. Il y a même des gens qui, sans proclamer aussi haut leur avis, se fondent sur les oscillations financières de la Grande-Bretagne en pleine paix pour en conclure qu’une guerre un peu prolongée l’obligerait à rejeter de ses épaules, au moins pour un temps, le fardeau de ses obligations anciennes. Heureusement nous n’en sommes pas réduit à discuter d’aussi monstrueux expédiens, qui portent au crédit d’une nation des coups presque irréparables.

  1. Les contributions montaient en Angleterre à 16 millions sterling en 1790, et en 1812 elles s’élevaient à 64 millions.