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S’obstiner à voir le mot de banqueroute écrit au fond de l’état financier de l’Angleterre, c’est prévoir, ce nous semble, les malheurs d’un peu trop loin. Tout ce que démontre l’étude des aises passées et de la situation présente, c’est qu’une commotion violente serait le signal de désastres dont il est impossible de fixer d’avance le caractère et la limite.

De telles éventualités paraissent heureusement improbables, grace aux relations de plus en plus intimes que la force des choses établit chaque jour entre le crédit de tous les peuples européens. Oserait-on dire aujourd’hui que la prospérité d’une nation n’importe pas à toutes les autres ? Si, par exemple, deux états placés jadis à la tête des découvertes maritimes et du mouvement colonial, et affaissés maintenant sous le poids des longues fautes de leurs gouvernemens, le Portugal et l’Espagne, se relevaient enfin de leur chute, n’est-il pas évident que l’Europe industrieuse et commerçante en retirerait d’incalculables bénéfices ? Élargir le cercle au lieu de le rétrécir, c’est la bonne politique, c’est la vraie source du bien ; c’est aussi, on peut le dire à son honneur, la tendance de notre époque. Plus on avance dans la carrière de l’industrie, plus les intérêts des peuples civilisés se mêlent par des transactions quotidiennes, et moins il est possible à un pays de se murer entre ses frontières et de contempler de loin, d’un œil indifférent, la gêne de ses voisins. Ce qu’on a dit des idées, que les baïonnettes ne sauraient empêcher de franchir les distances et de se répandre dans le monde, doit se dire aussi des influences qui affectent le commerce d’un état. Il n’y a plus de cordon sanitaire efficace contre ces malaises économiques ; l’air même porte avec lui la contagion comme un miasme perfide.

Un jour arrivera sans doute où la solidarité qui existe déjà entre les nations civilisées dans l’ordre industriel réagira sur l’organisation des établissemens financiers. Au désir de s’isoler on verra succéder la pensée plus féconde de s’aider mutuellement. Les traités de commerce sont venus dans l’histoire long-temps après les traités politiques, les traités en matière de crédit marqueront une phase plus avancée des relations internationales. Tandis que notre politique douanière, sans rester immobile, se montre non sans raison moins empressée que celle de la Grande-Bretagne à supprimer les barrières existantes, la Banque de France, dont la base est pourtant assez étroite, a témoigné par plusieurs actes qu’elle était moins asservie que la banque d’Angleterre à des idées d’isolement. On ne s’attendait guère, de part et d’autre, au milieu de la crise de 1847, à recevoir un bon exemple d’un état qu’on tenait pour fort arriéré dans la science économique. Quels que fussent les motifs qui l’aient inspirée, la double opération du gouvernement russe s’accordait à merveille avec les principes qui pourraient servir de base à l’organisation d’un crédit européen. S’il était permis d’écarter un peu les nuages de l’avenir, peut-être verrait-on que la solidarité, établie dans une certaine mesure entre les institutions financières des différens pays, doit contribuer puissamment au triomphe de ces idées d’équité et d’union si souvent mises en oubli et pourtant si conformes aux vrais intérêts des nations chrétiennes.


A. AUDIGANNE.