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et fantasques de son christianisme panthéiste, il avait imprimé à ses amis une direction entièrement nouvelle, et certes l’école qui produisait Henri d’Ofterdingen, Sternbald, le Solitaire cloîtré, et proclamait que la poésie est toute dans le moyen-âge, cette école, il faut bien le dire, renonçait aux ambitions qu’elle avait eues en traduisant Shakespeare ; elle s’avouait incapable de constituer jamais la scène allemande. Entre Kotzebue et les poètes romantiques, le choix ne saurait être douteux, et cependant, si l’on ne songe qu’à cette question du théâtre, il est permis de les mettre au même rang, et d’affirmer qu’ils ont tous été aussi hostiles aux progrès de l’art dramatique. Ceux-ci abaissaient la poésie devant un public grossier, ceux-là l’enfermaient dans le cénacle ; personne n’avait compris la mission de ce grand art, qui est d’amener la foule aux autels de la Muse.

C’est au milieu de ces écoles que Goethe et Schiller, également éloignés de la réalité commune et des subtilités mystiques, jetèrent par leurs créations hardies un si glorieux éclat. Suspects d’abord aux uns et aux autres, trop élevés pour l’école bourgeoise, trop francs pour l’école romantique, ils avaient à lutter contre deux ennemis redoutables. Kotzebue et les siens redoublaient d’activité pour défendre leur public ; les tragédies domestiques étaient remplacées par des tableaux plus compliqués et des émotions plus bruyantes ; les noirs mélodrames succédaient aux drames larmoyans, mais l’inspiration poétique ne succédait pas aux grossières combinaisons du métier. Les romantiques, de leur côté, regardaient avec défiance une école peu soucieuse d’un idéalisme chimérique, et qui devait seconder fort mal leur projet de restaurer le moyen-âge. A leurs yeux, Schiller et Goethe étaient des transfuges, qui ne pouvaient être admis sans restriction sur le livre d’or des artistes. Une telle opposition, aujourd’hui, paraît à peine croyable, mais les pièces du procès sont nombreuses. Novalis a comparé le Wilhelm Meister à une marchandise anglaise, à quelque chose de net, de confortable, de durable, mais de complètement anti-poétique. « C’est un Candide dirigé contre la poésie, ajoute-t-il, c’est l’athéisme de l’art. » Et Tieck, dans le Prince Zerbin, faisant le dénombrement des grands poètes de l’Allemagne, n’a-t-il pas supprimé le nom de Schiller ? Cette polémique avait lieu de 1790 à 1800, au moment où les deux maîtres abordaient courageusement la solution du problème, s’efforçaient d’unir l’idéal et le réel, de réconcilier la poésie et la scène, et remportaient chaque année sur le théâtre de Weimar les plus glorieuses victoires. Ils triomphèrent en effet, ils réunirent l’auditoire dispersé et créèrent un instant par l’autorité de leur génie cette nation une et puissante dont la poésie dramatique a besoin. Quand ils frémirent tous ensemble aux accens sublimes de Schiller, les peuples allemands sentirent naître en eux cette conscience nationale que Lessing appelait avec une impatience