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l’ombre contre lui ; on voit Frédéric-Auguste, amoureux d’une dame d’honneur de la cour fiancée en secret à Patkoul, livrer son rival à la Suède ; on ne voit pas assez Patkoul représenter jusqu’au bout la sainte cause qu’il défend, et couronner par un martyre une vie toute dévouée à l’indépendance de sa patrie. C’est là une faute grave que la critique doit signaler franchement à l’ingénieux écrivain. Cette faute, nous pouvons maintenant l’affirmer sans crainte, cette faute tient à la manière dont le poète a conçu son sujet, et il était difficile de l’éviter en ne prenant que ce dernier épisode. Une fois le sujet admis, l’auteur n’a plus que des éloges à recevoir. C’est une comédie piquante et d’un ordre élevé, que le tableau de ce vaillant homme, guerrier, homme d’état, écrivain, entouré ainsi de diplomates sans cœur et pris dans une ridicule intrigue. Patkoul n’agit pas, mais il parle, et les nobles sentimens qui agitent son ame donnent à l’ouvrage une rare élévation morale. Le caractère de Frédéric-Auguste est interprété d’une manière intelligente et fine ; ce mélange de frivolité et de bonté, d’insouciance et de résolution, forme un contraste heureux avec la constance de Patkoul. M. Gutzkow, en écrivant ce drame, a fait un pas décisif ; il s’est rapproché des voies où l’attend un succès durable. Sa vocation, je crois le savoir à présent, c’est la comédie plutôt que le drame, la comédie sérieuse, j’oserai dire la comédie politique, diplomatique, celle qui saurait pénétrer les secrets des cours et interpréter les événemens de l’histoire en devinant les tortueux manéges de l’intrigue. Une chose manque à l’auteur de Patkoul, la passion vraie, naïve, profonde, qui est indispensable au drame ; mais, s’il ne peut guère atteindre à un pathétique naturel et sincère, il possède d’autres qualités, bien rares aussi, dont il devra tirer un parti éclatant. Son esprit fin et rusé, sa verve incisive, et même cette raillerie amère où il excelle, tout enfin lui promet des victoires complètes sur le terrain que je lui indique. Cette comédie historique, telle que M. Gutzkow nous la fait entrevoir, n’existe encore dans aucune autre littérature ; ce serait une création originale, bien propre à tenter son ambition.


Il est difficile, à ce qu’il semble, de comprendre et d’accepter franchement sa destinée. L’histoire des poètes et des artistes est pleine des mécomptes qu’ils ont dû subir pour avoir fermé l’oreille à la voix intérieure. M. Gutzkow était plus exposé qu’un autre à ce danger ; sa volonté opiniâtre, son ardeur obstinée, vertus excellentes, mais périlleuses, ont failli lui être funestes. Il sentait bien, j’en suis sûr, que le drame exigeait des facultés plus fortes, un cœur plus abondant et plus riche, il sentait bien qu’il devait vaincre par la finesse de l’intelligence et non par les entraînemens pathétiques ; mais il s’est révolté contre l’obstacle et a voulu triompher de sa nature même. Le temps et le talent qu’il a