Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/221

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pugatscheff n’a eu qu’un succès médiocre ; mais peu de temps après, l’année dernière, M. Gutzkow a donné le Modèle de Tartufe, et il a obtenu un vrai triomphe. Jamais les applaudissemens n’avaient éclaté avec tant d’enthousiasme, jamais la joie du public n’avait été si franche et si unanime. Tandis que tous les théâtres importans de l’Allemagne livraient la pièce de M. Gutzkow aux bravos de la foule, les juges les plus accrédités en commentaient les beautés avec une sympathie cordiale. Il semblait que la poésie dramatique fût renouvelée, et que le chef-d’œuvre si long-temps poursuivi, si impatiemment attendu, eût enfin illuminé la scène. Hélas ! mon rôle est ici bien difficile et bien pénible ; je suis obligé de contredire absolument l’opinion de la critique allemande. La pièce de M. Gutzkow ne vaut rien ; soyons franc, elle est détestable, et, quel que soit l’esprit de certains détails, c’est là, sans nul doute, le plus faible, le plus faux, le plus mauvais ouvrage que M. Gutzkow ait écrit. M. Gutzkow est un talent d’élite, un talent hardi à qui l’on doit toute la vérité ; on n’a pas à craindre ici de décourager une muse indécise. D’ailleurs, il s’agit de Molière ; c’est la société du temps de Louis XIV, c’est le plus grand poète de la France que M. Gutzkow a voulu peindre ; on nous accordera peut-être que nous sommes plus compétent ici que les critiques d’outre-Rhin. J’exposerai la pièce aussi fidèlement que possible, et le lecteur portera son arrêt.

Nous sommes dans la maison de Chapelle. L’ami de Molière, transformé par M. Gutzkow en un rival bassement envieux, a lu au théâtre du Palais-Royal sa tragédie de Nabuchodonosor, qui vient d’être refusée à l’unanimité. Chapelle jure de se venger, et, pour l’exciter encore, un de ses commensaux, un notaire nommé Lefèvre, lui adresse maintes consolations envenimées qui redoublent sa fureur contre Molière. En même temps, l’officieux ami conseille au poète de laisser là pour toujours ces sujets antiques dont personne ne se soucie, et d’emprunter ses inspirations au spectacle des mœurs contemporaines. Chapelle a plus d’esprit, plus d’imagination que Molière, et, quand Chapelle voudra entrer en lutte avec Molière, Molière sera perdu. Pourquoi ne peindrait-il pas, par exemple, un hypocrite, un charlatan de piété ? Chapelle est transporté de joie ; il a une idée, une idée qu’on lui a donnée sans doute, mais il croit l’avoir découverte, et cela lui suffit ; de cette idée naîtra un chef d’œuvre qui fera rentrer Molière dans le néant. Cependant un bourgeois de Paris, M. Mathieu, vient présenter à Chapelle une jeune comédienne nouvellement arrivée de province, et qui, devant paraître bientôt sur la scène, veut se ménager l’appui des écrivains célèbres. Madeleine Béjart, car c’est elle-même, est interrogée par Chapelle, et, comme elle va débuter dans une pièce de Molière où les faux dévots sont démasqués, Chapelle est pris d’une nouvelle fureur et va criant qu’on l’a indignement dépouillé. Madeleine