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il a montré une ardeur persévérante, il a fait éclater d’énergiques ressources, il a prouvé enfin qu’un jour viendrait où, sûr de sa route, il y marcherait d’un pas ferme.

Maintenant, peut-on prédire de belles journées à cette renaissance dramatique qui préoccupe l’Allemagne et dont nous avons étudié l’un des ouvriers les plus actifs ? Oui, je le crois ; le goût du public et des juges n’est pas encore formé, mais il y a là ce qui manque à tant de scènes déchues, ce qui nous manque peut-être, l’enthousiasme naïf et une généreuse ambition. Un vif sentiment politique s’ajoute encore à cette ardeur ; l’Allemagne pense que la fondation d’une scène vraiment nationale doit servir à la conquête des institutions qu’elle réclame. Ce qui est bien certain, c’est que l’irrésistible développement de l’esprit moderne amènera à la fois, dans l’ordre des choses politiques, la constitution d’une société meilleure, et, dans l’ordre des intérêts littéraires, la formation de cette poésie dramatique dont le seul fondement solide est l’unité de la patrie. Ces deux résultats viendront ensemble. Pensons-y bien pourtant, et prenons garde de confondre la polémique quotidienne avec ces inspirations élevées que le vrai poète demande à son temps et à la situation de son pays. L’Allemagne se sent renaître à la vie publique, l’Allemagne combat par la plume et par la parole pour des droits sacrés ; c’est dans ces sentimens qu’il importe de puiser comme à une source pleine de vie et non dans les tristes discussions de chaque matin. Si M. Gutzkow eût toujours songé à cet écueil, il n’aurait pas certainement, pour attaquer la censure allemande, défiguré, dans le Modèle de Tartufe, le grand sujet qu’il avait choisi, et compromis la finesse habituelle de son talent. La réalité, qui est la matière de la poésie dramatique, doit être sans cesse transfigurée par un sentiment supérieur. Défiez-vous sans doute d’un idéal abstrait, mais ne craignez pas moins cette réalité que ne modifie pas la pensée de l’artiste. C’était le problème qui agitait les lettres allemandes au temps de Goethe et de Schiller, c’est le problème éternel ! La question aujourd’hui paraît bien comprise, et la lutte, en général, est bien engagée. Tandis que Raupach et ses imitateurs, sans se soucier de la poésie, découpent en drames vulgaires l’histoire du moyen-âge, tandis que, d’un autre côté, une multitude de poètes, Hebbel, Rückert, Geibel, Marbach, se livrent à la fantaisie et dédaignent toutes les conditions de la scène, l’ardente école dont nous avons parlé poursuit avec persévérance l’union féconde du réel et de l’idéal. Que produira ce mouvement ? Un Goethe ? un Schiller ? Il faut le souhaiter ; mais quand le poète si désiré se ferait attendre plus d’un demi-siècle, qu’importe ? Ceux qui lui auront frayé la voie auront droit à la reconnaissance de tous, et l’Allemagne n’oubliera pas leurs noms.


SAINT-RENE TAILLANDIER.