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la mode. La théodicée, qui formait autrefois comme la base de tout l’édifice, a été très négligée dans ces derniers temps. On ne la retrouve guère que dans les livres destinés à l’enseignement ecclésiastique, où elle est restée à peu près ce qu’elle était au temps de Descartes et de Fénelon. La psychologie a pris sa place dans la plupart des livres contemporains, comme si l’homme avait plus à cœur aujourd’hui de se connaître lui-même que de remonter par la pensée jusqu’à son auteur. La logique s’est réfugiée dans les manuels ; l’ontologie a tenté à diverses reprises, mais sans grand succès, de germer sur notre sol, et, en dernière analyse, il semble qu’à chaque nouveau progrès des sciences mathématiques et des sciences naturelles, la pure abstraction perde de son autorité. La philosophie française tend avant tout à devenir une science contingente ; elle se détourne des utopies pour marcher droit aux applications ; elle renonce à ce qu’elle ne peut expliquer pour s’attacher à ce qu’elle peut connaître ; elle élève le niveau des autres sciences en leur apportant une méthode, et, en s’alliant avec elles, elle devient la philosophie du droit, la philosophie de l’histoire, la philosophie de l’art et même la philosophie du budget. Dédaignée du public, ce philosophe sans le savoir, quand elle se présente devant lui comme un rêve abstrait et insaisissable, la philosophie trouve toujours la foule attentive quand elle lui parle des espérances éternelles de l’homme, de ses devoirs envers lui-même et la société. Il suffit de compter les éditions des moralistes pour s’assurer de l’exactitude de cette remarque, qui du reste n’a point le mérite de la nouveauté. Marc-Aurèle et Plutarque figurent dans nos catalogues à côté de Montaigne, de Vauvenargues, de Franklin, de Silvio Pellico, de de Gérando et de Droz. Pellico a eu au moins trente éditions, de Gérando sept ou huit, et plusieurs sociétés d’ouvriers typographes ont consacré les loisirs du dimanche et du lundi à réimprimer Franklin. C’est là une heureuse compensation de la popularité de tant de romans qui n’ont d’autre attrait que le scandale ; c’est là un fait qui montre suffisamment qu’on peut se faire écouter du public, lorsqu’au lieu de lui parler au nom de ses passions ou de ses vices, on lui parle au nom de ses devoirs, un fait qui montre surtout combien sont durables et solides les succès des ouvrages qui s’adressent à de nobles sentimens, en face de ces succès bruyamment usurpés qui ne s’adressent qu’à une sorte de curiosité dépravée et maladive. Quel que soit l’égoïsme ou l’effronterie d’une époque, l’honnêteté sera toujours, pour les livres comme pour les hommes, l’instrument le plus puissant d’une fortune solide et durable. Un mauvais livre, soutenu par le scandale, appuyé par la réclame et la critique, peut, pendant quelques semaines, se vendre à grand nombre, mais la vogue est vite épuisée. Sans l’appui de la critique et de l’annonce, un bon livre peut rester quelque temps inconnu, mais tôt ou tard arrive l’instant où il sort de son ombre pour conquérir une place honorable que personne ne songe à lui disputer. C’est dans la bibliographie l’histoire des bons traités de morale, c’est dans le monde l’histoire des honnêtes gens et des fripons.


VIII.

Améliorer l’homme, le préparer à l’accomplissement de ses devoirs envers lui-même et les autres, lui donner par le développement du sentiment moral une