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partis s’en mêlèrent et répondirent. L’élection de l’abbé Grégoire, par exemple, ne nous effraie pas aujourd’hui, mais elle ne pouvait point ne pas effrayer les régnans d’alors, et elle semblait un défi que devaient exploiter avec fureur ceux qui avaient pour cri : la Charte et les honnêtes gens. La division se mit dans le cabinet et au sein du groupe doctrinaire lui-même. L’assassinat du duc de Berry trancha le nœud et rejeta loin la mise en œuvre des théories. Le second ministère de M. de Richelieu, en essayant de s’interposer dans cette crise, et en le faisant avec une sincérité, avec un dévouement incontestables de la part de plusieurs d’entre ses membres, ne put que retarder par des biais et mitiger par des palliatifs un résultat prévu. La santé de Louis XVIII, qui s’affaissait à vue d’œil et entraînait sa volonté, la fixité étroite et opiniâtre du comte d’Artois, qui convoitait cette fin de règne, c’étaient là des données matérielles et presque fatales dans la politique du moment, et tout l’art humain n’y pouvait rien. Il arriva donc en définitive ce qui arrive si souvent dans les choses humaines : la raison n’eut pas tout-à-fait tort, elle ne fut qu’en partie déjouée. Elle eut, comme une autre, ses chances de fortune, selon que le remarquait spirituellement M. de Rémusat, c’est-à-dire qu’elle obtint dix ans plus tard, et par l’auxiliaire d’un fait instantané, un régime dont la société eût réclamé l’application graduelle et ménagée dix ans plus tôt. Mais, le jour où les réformes furent conquises, la société, de nouveau remuée, n’y répondit pas comme elle aurait fait en temps plus utile. Des passions nouvelles se dessinèrent ; des désirs confus, un vague malaise ont succédé qui, chez une nation mobile, sont peut-être pires que les passions mêmes. Ces ennuis et ces désirs compliquent la situation présente, tout comme les passions d’alors compliquaient cette disposition rationnelle d’autrefois, et, si l’on voulait prêter l’oreille aujourd’hui à l’instinct public pour savoir au juste ce qu’il demande, on serait vraiment fort embarrassé de le dire et de lui répondre. Et c’est ainsi que le règne de la raison s’ajourne toujours.

Ces réflexions s’adressent bien plutôt à la théorie doctrinaire primitive qu’à M. de Rémusat lui-même, dont j’ai indiqué les diversités particulières ; mais, dans cet écrit de 1820, il a payé un plus large tribut que partout ailleurs au pur doctrinarisme pour le fond comme pour la forme. Si l’ensemble de l’ouvrage prouve une grande force d’analyse, le style, par son caractère abstrait et scientifique, y jure un peu avec ce que cet élégant esprit a naturellement de souple et de dispos jusque dans sa fermeté.

Ajoutons pour mémoire un écrit sans nom d’auteur, composé pendant les orages de la loi des élections, en juin 1820[1], et distribué aux chambres, et l’on aura idée de la part très active que prit M. de Rémusat

  1. Sous ce titre : Amendemens à la loi des élections.