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un Européen son amour du progrès. Je songeais en moi-même à la commission dont le Marseillais m’avait chargé. La négociation me paraissait d’autant plus difficile, que les quatre pendules occupaient chacune symétriquement une des faces de la salle. Où placer la cinquième ? Je n’en parlai pas.

Ce n’était pas le moment non plus de parler de l’affaire du scheik druse prisonnier à Beyrouth. Je gardai ce point délicat pour une autre visite, où le pacha m’accueillerait peut-être moins froidement. Je me retirai en prétextant des affaires à la ville. Lorsque je fus dans la cour, un officier vint me prévenir que le pacha avait ordonné à deux cavas de m’accompagner partout où je voudrais aller. Je ne m’exagérai pas la portée de cette attention, qui se résout d’ordinaire en un fort bakchis à donner auxdits estafiers.

Lorsque nous fûmes entrés dans la ville, je demandai à l’un d’eux où l’on pouvait aller déjeuner. Ils se regardèrent avec des yeux très étonnés en se disant que ce n’était pas l’heure. Comme j’insistais, ils me demandèrent une colonnate (piastre d’Espagne) pour acheter des poules et du riz. Où auraient-ils fait cuire cela ? Dans un corps-de-garde ? Cela me parut une œuvre chère et compliquée. Enfin ils eurent l’idée de me mener au consulat français ; mais j’appris là que notre agent résidait de l’autre côté du golfe, sur le revers du mont Carmel. À Saint-Jean-d’Acre, comme dans les villes du Liban, les Européens ont des habitations dans les montagnes à des hauteurs où cessent l’impression des grandes chaleurs et l’effet des vents brûlans de la plaine. — Je ne me sentis pas le courage d’aller demander à déjeuner si au-dessus du niveau de la mer. Quant à me présenter au couvent, je savais qu’on ne m’y aurait pas reçu sans lettres de recommandation. Je ne complais donc plus que sur la rencontre du Marseillais, lequel probablement devait se trouver au bazar.

En effet, il était en train de vendre à un marchand grec un assortiment de ces anciennes montres de nos pères, en forme d’oignons, que les Turcs préfèrent aux montres plates. Les plus grosses sont les plus chères ; — les œufs de Nuremberg sont hors de prix. Nos vieux fusils d’Europe trouvent aussi leur placement dans tout l’Orient, car on n’y veut que des fusils à pierre. — Voilà mon commerce, me dit le Marseillais ; j’achète en France toutes ces anciennes choses bon marché, et je les revends ici le plus cher possible. Les vieilles parures de pierres fines, les vieux cachemires, voilà qui se vend aussi fort bien. Cela est venu de l’Orient et cela y retourne. En France, on ne sait pas le prix des belles choses ; tout dépend de la mode. Tenez, la meilleure spéculation, c’est d’acheter en France les armes turques, les chibouks, les bouquins d’ambre et toutes les curiosités orientales rapportées en divers temps par les voyageurs, et puis de venir les revendre dans ces