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les Druses portent sur eux comme signe de reconnaissance, et qui, trouvée sur quelques morts, avait donné l’opinion qu’ils adoraient un veau, chose aussi absurde que de croire les chrétiens adorateurs de l’agneau ou du pigeon symbolique. Ces pierres, qu’à l’époque de la propagande primitive on distribuait à tous les fidèles, se transmettaient de père en fils.

Il me suffisait donc d’en trouver une pour convaincre l’akkal que je descendais de quelque ancien fidèle ; mais ce mensonge me répugnait. Le kaïmakan, plus éclairé par sa position et plus ouvert aux idées de l’Europe que ses compatriotes, me donna des détails qui m’éclairèrent tout à coup. Mon ami, j’ai tout compris, tout deviné en un instant ; mon rêve absurde devient ma vie, l’impossible s’est réalisé !

Cherche bien, accumule les suppositions les plus baroques, ou plutôt jette ta langue aux chiens, comme dit Mme de Sévigné. Apprends maintenant une chose dont je n’avais moi-même jusqu’ici qu’une vague idée. Les akkals druses sont les francs-maçons de l’Orient.

Il ne faut pas d’autres raisons pour expliquer l’ancienne prétention des brases de descendre de certains chevaliers des croisades. Ce que leur grand émir Fakardin déclarait à la cour des Médicis en invoquant l’appui de l’Europe contre les Turcs, ce qui se trouve si souvent rappelé dans les lettres-patentes de Henri IV et de Louis XIV en faveur des peuples du Liban, est véritable au moins en partie. Pendant les deux siècles qu’a duré l’occupation du Liban par les chevaliers du temple, ces derniers y avaient jeté les bases d’une institution profonde. Dans leur besoin de dominer des nations de races et de religions différentes, il est évident que ce sont eux qui ont établi ce système d’affiliations maçonniques, tout empreint au reste des coutumes locales. — Les idées orientales qui, par suite, pénétrèrent dans leur ordre ont été cause en partie des accusations d’hérésie qu’ils subirent en Europe. La franc-maçonnerie a, comme tu sais, hérité de la doctrine des templiers ; voilà le rapport établi, voilà pourquoi les Druses parlent de leurs coreligionnaires d’Europe, dispersés dans divers pays, et principalement dans les montagnes d’Écosse (djebel-el-Scouzia). Ils entendent par là les compagnons et maîtres écossais, ainsi que les rose-croix, dont le grade correspond à celui d’ancien templier[1].

Mais tu sais que je suis moi-même l’un des enfans de la veuve, un louveteau (fils de maître), que j’ai été nourri dans l’horreur du meurtre d’Adoniram et dans l’admiration du saint Temple, dont les colonnes ont

  1. Les missionnaires anglais appuient beaucoup sur cette circonstance pour établir parmi les Druses l’influence de leur pays. Ils leur font croire que le rite écossais est particulier à l’Angleterre. On peut s’assurer que la maçonnerie française a la première compris ces rapports, puisqu’elle fonda à l’époque de la révolution les loges des Druses réunis, des Commandeurs du Liban, etc.