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été des cèdres du mont Liban. Sérieusement, la maçonnerie est bien dégénérée parmi nous : — tu vois pourtant que cela peut servir en voyage. Bref, je ne suis plus pour les Druses un infidèle, je suis un muta-daressin, un étudiant. Dans la maçonnerie, cela correspondrait au grade d’apprenti ; il faut ensuite devenir compagnon (réfik), puis maître (day) ; l’akkal serait pour nous le rose-croix ou ce qu’on appelle chevalier kaddosch. Tout le reste a des rapports intimes avec nos loges ; je t’en abrège les détails.


Tu vois maintenant ce qui a dû arriver. J’ai produit mes titres, ayant heureusement dans mes papiers un de ces beaux diplômes maçonniques pleins de signes cabalistiques familiers aux Orientaux. Quand le cheik m’a demandé de nouveau ma pierre noire, je lui ai dit que les templiers français, ayant été brûlés, n’avaient pu transmettre leurs pierres aux francs-maçons, qui sont devenus leurs successeurs spirituels. — Il faudrait s’assurer de ce fait, qui n’est que probable ; — cette pierre doit être le bahomet (petite idole), dont il est question dans le procès des templiers.

À ce point de vue, mon mariage devient de la haute politique. Il s’agit peut-être de renouer les liens qui attachaient autrefois les Druses à la France. Ces braves gens se plaignent de voir notre protection ne s’étendre que sur les catholiques, tandis qu’autrefois les rois de France les comprenaient dans leurs sympathies comme descendans des croisés et pour ainsi dire chrétiens[1]. Les agens anglais profitent de cette situation pour faire valoir leur appui, et de là les luttes des deux peuples rivaux, druses et maronites, unis autrefois sous les mêmes princes.

Le kaïmakan a permis enfin au cheik Eschérazy de retourner dans son pays et ne lui a pas caché que c’était à mes sollicitations près du pacha d’Acre qu’il devait ce résultat. Le cheik m’a dit : Si tu as voulu te rendre utile, tu n’as fait que le devoir de chacun ; si tu y avais un intérêt, pourquoi te remercierais-je ?

Sa doctrine m’étonne sur quelques points, cependant elle est noble et pure, quand on sait bien se l’expliquer. Les akkals ne reconnaissent ni vertus ni crimes. L’homme honnête n’a point de mérite, seulement il s’élève dans l’échelle des êtres comme le vicieux s’abaisse. La transmigration amène le châtiment ou la récompense.

On ne dit pas d’un Druse qu’il est mort, mais qu’il s’est transmigré.

Les Druses ne font pas l’aumône, parce que l’aumône, selon eux, dégrade celui qui l’accepte. Ils exercent seulement l’hospitalité, à titre d’échange dans cette vie ou dans une autre.

  1. Si frivoles que soient ces pages, elles contiennent une donnée vraie. On peut se rappeler la pétition collective que les Druses et les Maronites ont adressée récemment à la chambre des députés.