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du héros très secondaire de Foscolo, sont d’un voisin de cette famille et qui s’est autrefois assez inoculé de ces maladies pour ne plus s’arrêter au coloris littéraire et pour ne s’attacher qu’au germe caché. Le passage sur René pourtant doit sembler sévère, en ce que, pour la juger, il commence par dépouiller une nature poétique de tous ses rayons. Quant aux pages de pronostic sur la révolution du théâtre, on y sent, à travers toutes les politesses, un témoin hardi et ennuyé qui, pour peu que cela traîne, est tout prêt à se mettre de la partie, et qui, en attendant, harcèle avec grace les retardataires. Quelle plus fine et plus piquante raillerie que celle qu’il fait de ces honnêtes bourgeois de la république des lettres, gens à idées rangées, bornés d’ambition et de désirs, satisfaits du fonds acquis, et trouvant d’avance téméraire qu’on prétende y rien ajouter. « Ce sont, dit-il en demandant pardon de l’expression, des esprits retirés, qui ne produisent et n’acquièrent plus ; mais ils ont cela de remarquable qu’ils ne peuvent souffrir que d’autres fassent fortune. » Relevant le besoin de nouveauté qui partout se faisait sourdement sentir, et qui s’annonçait par le dégoût du factice et du commun, ces deux grands défauts de notre scène : « Qu’il paraisse, s’écriait-il, une imagination indépendante et féconde, dont la puissance corresponde à ce besoin et qui trouve en elle-même les moyens de le satisfaire, et les obstacles, les opinions, les habitudes ne pourront l’arrêter. » Bien des années se sont écoulées depuis, non pas sans toutes sortes de tentatives, et le génie, le génie complet, évoqué par la critique, n’a point répondu : de guerre las, un jour de loisir, M. de Rémusat s’est mis, vers 1836, à faire un drame d’Abélard, qui, lorsqu’il sera publié (car il le sera, nous l’espérons bien), paraîtra probablement ce que la tentative moderne, à la lecture, aura produit de plus considérable, de plus vrai et de plus attachant. Avoir su trouver l’intérêt, l’émotion, la bonne plaisanterie, l’action enfin, dans la dialectique, dans les catégories, dans la scholastique, le détour assurément doit sembler original et neuf. Il est curieux de suivre tout ce dont est capable un grand esprit piqué au jeu, et de voir, en désespoir de cause, la philosophie se faisant drame, la critique, à ce degré de puissance, devenue créatrice. Mais n’anticipons point le moment.

Les doctrinaires disgraciés, après s’être donné la satisfaction de voir tomber le second ministère Richelieu et d’y aider pour leur part, revinrent à la littérature, à la philosophie, à l’histoire ; ils reportèrent leur mouvement d’idées dans ces champs féconds où ils étaient maîtres, et où les défauts de leur politique devenaient presque des qualités de leur étude. Dans toutes les branches, excepté la poésie, ils laissèrent des traces profondes, et contribuèrent plus que personne à fertiliser la dernière moitié de la Restauration, de même que leur rentrée en masse aux affaires après juillet 1830, en voulant doter le régime actuel de sa politique, l’a trop déshérité de la haute culture intellectuelle.