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et la nationalité. Il rêvait la liberté civile, et il laissa subsister la sujétion.

Jusqu’en l’année 1846, la propriété corvéable est restée dans le même état, excepté en Hongrie où elle a gagné un peu aux libres débats des assemblées publiques[1]. Ainsi, en Hongrie, les charges du cultivateur sont moins pesantes qu’en Gallicie, en Bohème ou en Transylvanie ; l’organisation judiciaire y est aussi beaucoup plus équitable, la liberté du paysan plus défendue et mieux garantie ; en un mot, les propriétés et les personnes y sont plus près d’une émancipation définitive et complète. Toutefois les principes constitutifs de la loi sont les mêmes partout. Terrae quam subditus colit proprietas ad dominum terrestrem spectat ; le seigneur est seul propriétaire ; le sujet est simplement tenancier, il ne peut être plus ; il n’a qu’un droit de possession, c’est le fondement du code hongrois lui-même. A côté de ce principe qui stérilise le travail, il en est un autre qui en aggrave les conséquences : c’est le principe de la juridiction domaniale. Le seigneur est juge entre sujets, même en Hongrie ; il fait plus encore en Gallicie et ailleurs, il juge dans sa propre cause, il administre ; il exerce le droit de police pour le compte de l’état. Enfin, si en Hongrie le paysan peut émigrer, acheter, vendre, tester, se marier sans autorisation et à sa guise, il ne le peut pas dans les autres provinces. Il n’est plus précisément enchaîné à la glèbe, mais il n’a pas la faculté de se déplacer ni de contracter librement d’engagemens ; c’est un mineur que la législation tient sous une tutelle permanente, souvent aveugle, toujours orgueilleuse et naturellement égoïste.

Le sol est divisé en terres libres et en terres corvéables. Les terres libres sont les anciennes terres communales, dont la noblesse s’est attribué la propriété dans les pays où le pouvoir royal est resté faible, comme en Pologne, ou qu’elle a reçues des rois à titre de bénéfice héréditaire dans les pays où la royauté a été plus forte, comme en Hongrie. Les terres corvéables sont l’ancienne portion congrue affectée à chaque individu dans la commune pour les besoins de la famille. Comme elles furent primitivement divisées en parts égales, elles le sont encore aujourd’hui, malgré les révolutions que tout l’ancien ordre de choses a subies.

Chaque village contient un certain nombre de fermes d’une même étendue, appelées en latin de Hongrie integrae sessiones. Cependant ces fermes ne demeurent point toujours entières aux mains de la même famille ; l’accroissement de la population ne le permet pas. Il y a donc des divisions et des subdivisions, mais réglées elles-mêmes par la loi ou par la coutume, qui en tient lieu. La moitié, le quart, le huitième, telle est la progression décroissante que suit le partage des fermes entières. En Hongrie, un même paysan peut posséder quatre fermes dans les villages qui en comptent au-delà de cent vingt ; il ne peut guère en posséder qu’une en Gallicie et dans les provinces occidentales. Ces fermes comprennent, suivant la qualité des terres, de seize arpens à cinquante environ.

  1. En prenant possession des provinces illyriennes, la France y porta le régime de l’égalité civile, qui disparut aussi avec son drapeau. En 1814, l’Autriche se hâta d’y rétablir le régime féodal.