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La classe des fermiers qui dans l’Autriche occidentale parviennent à posséder une ferme complète est peu nombreuse, et au bas de l’échelle se trouve une population très considérable de simples locataires (inquilini), qui n’ont qu’une cabane entourée d’un verger. Voilà les cadres au sein desquels s’agite cette masse de travailleurs, condamnés depuis des siècles à un labeur toujours le même et sans issue. Il en est peu toutefois qui soient absolument privés de toute ressource. Le grand nombre des terres qui sont encore incultes dans ces contrées si long-temps désolées par la guerre, permet aux propriétaires de distribuer de nouvelles fermes à de nouveaux cultivateurs, Le domaine y gagne de lourdes redevances et d’importantes corvées : pour une concession qui lui coûte peu, il s’assure ainsi des prestations et une main-d’œuvre qui peuvent ajouter beaucoup à ses revenus.

Les obligations du paysan sont proportionnelles à l’étendue de sa terre. En Gallicie, pour une ferme complète, il ne doit pas moins de trois jours de travail par semaine avec six bœufs et deux hommes, c’est-à-dire cent cinquante-six jours par année. En Hongrie, il n’est tenu qu’à cent huit journées d’un seul homme ; mais les prestations en nature y sont un peu plus considérables, car, outre les petits impôts qui varient d’une province à l’autre et la dîme des produits levée partout par le clergé, les seigneurs hongrois prennent de plus un neuvième sur les céréales. Heureux encore les paysans s’ils étaient libres de toute obligation, après qu’ils se sont acquittés avec la noblesse et avec l’église ! Mais l’état réclame aussi sa part, et il la veut d’autant plus grande qu’il a moins à prendre sur les classes privilégiées. En Gallicie, en Bohème, dans toutes les provinces non constitutionnelles, les nobles sont sujets à l’impôt ; mais la plus forte part, on le comprend, pèse sur les petits. En Hongrie et en Transylvanie, où les nobles ne sont point imposés, les petits paient pour tous à la fois. Ainsi du recrutement, dont la noblesse est partout exempte. Les paysans seuls sont astreints au service militaire, car on ne peut prendre aujourd’hui au sérieux les devoirs de la noblesse hongroise dans les cas de levée en masse, depuis long-temps fort rares. Faut-il rappeler mille autres impôts vexatoires, comme le logement des troupes, le salaire du maître d’école, du garde champêtre, l’entretien des chemins, des ponts, des églises, de tous les édifices communaux ? Il est clair que les charges publiques retombent exclusivement ou peu s’en faut sur les classes laborieuses. Certes, ce n’est pas à l’état que l’on doit en faire un reproche : ses droits sont bons ; mais en est-il de même de ceux de la noblesse[1] ?

Telle est la loi de la propriété en Autriche. Combien n’est-elle pas éloignée aujourd’hui de cet esprit de fraternité dont parlent les traditions, et combien n’est-il pas naturel qu’elle ait conduit les peuples à ces tristes résultats à travers la confusion des âges et la lutte des intérêts aveugles et brutaux ! Écoutez cependant des écrivains polonais qui ont donné avec une véritable profondeur la formule

  1. Parmi les documens que l’on peut consulter sur cette partie de la législation de l’Autriche, nous citerons l’estimable statistique de Springer, qui est déjà ancienne. Les questions locales ont été traitées dans des publications spéciales et plus récentes. L’état de la Gallicie a été approfondi dans une brochure intitulée la Gallicie et la Question des corvées ; celui de la Hongrie dans la Statistique de Fenyès ; celui de la Transylvanie dans le Magasin historique pour la Dacie, publication périodique qui paraît en Valachie.