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le triste résultat de la condition humiliante dans laquelle elle a toujours vécu, des entraves qui gênent ses libres allures, et de l’absence de toute sécurité pour le fruit de son labeur ? Les Roumains de la Transylvanie ne sont pas laborieux, parce qu’ils ne sont pas libres ; leur goût pour le repos n’a pas d’autre raison. En leur refusant les moyens de sortir de cette apathie sociale, les propriétaires magyars ou saxons ont agi sans doute en vue des dangers politiques dont ils sont menacés par le développement de la nationalité roumaine en Transylvanie, en Hongrie, en Bucovine, et, hors de l’empire, en Bessarabie et en Moldo-Valachie. Toutefois, si le réveil du roumanisme est un fait auquel il peut leur être pénible de céder, c’est aussi une nécessité contre laquelle il ne serait nullement sage de lutter plus long-temps. Qu’ils se rappellent la révolte de Hora, ses sanglans exploits, ses tentatives audacieuses. Résister aveuglément, ce serait tout risquer. La diète de cette année même, satisfaite d’avoir diminué de quelques jours le nombre des corvées, n’a pas encore admis le droit de propriété pour les paysans ; mais le parti libéral en a déjà parlé avec éloquence, et il n’épargnera aucun effort pour le faire triompher. Ce sera, pour les seigneurs magyars comme pour les bourgeois saxons, à la fois un sacrifice de nationalité et un sacrifice d’intérêt matériel ; mais, sans ce double sacrifice, ils ne sauveraient rien de leur nationalité ni de leurs grandes existences.

Dans les deux royaumes de Hongrie et de Croatie, la misère ne présente point cet appareil hideux, cette nudité effrayante qu’elle étale partout en Transylvanie. Il s’en faut pourtant que l’état matériel du pays soit ce qu’il pourrait être sous des lois et une administration plus douces. La Hongrie est une terre généreuse ; elle produit les céréales en abondance et presque sans culture ; elle possède les vignobles les plus riches du monde après les nôtres et la plupart des matières premières de l’industrie européenne. Les idées libérales y ont même pénétré ; mais, enchaînés par une loi encore très oppressive malgré ses récens progrès, les Hongrois n’ont su féconder ni les richesses matérielles ni les ressources morales mises à leur disposition. L’orgueil aristocratique s’est renfermé, jusqu’à ce jour, dans le refus obstiné de l’impôt foncier, dont tout le poids a été supporté par le peuple, et les travaux d’utilité publique, les voies de communication, sont demeurés dans l’enfance. Le sol accorde tout ce qu’on lui demande ; malheureusement les transports et les charrois sont ou impossibles ou coûteux à l’excès. Sans doute les voies fluviales du Danube, de la Theiss, de la Drave et de la Save, ont pris, dans les dernières années, des développemens très rapides et très productifs. Les Magyars, prompts à s’enthousiasmer pour les grandes entreprises, s’occupent aujourd’hui bruyamment des chemins de fer, qui, dans leur pensée, doivent relier Pesth à Presbourg, à la Transylvanie et à l’Adriatique ; mais ils ne songent nullement à rendre praticables les routes importantes qui conduisent de Pesth à Kachau, dans les comitats du nord, ou encore à Semlin, sur la frontière turque. Par le mauvais temps, c’est pitié de voir, le long des chemins, les bœufs ou les chevaux traînant à grand’peine un chariot peu chargé que plusieurs paysans soutiennent alternativement, afin d’empêcher qu’il ne verse, arrêtés d’ailleurs à chaque pas pour enlever la boue qui gêne et appesantit le mouvement des roues. Fort souvent les ponts sont en ruine, et il y a péril à les passer de nuit. Dans les villages et quelquefois même dans certains quartiers des grandes villes de l’intérieur, comme Pesth, Debreczin, Neuzatz, Vesprin, les rues ne sont pas