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mieux entretenues, et il arrive que, pour les traverser, on est obligé de prendre un cheval. C’est véritablement en voyant ces chemins fangeux, ces routes impraticables, qu’on s’explique le goût des Hongrois pour l’équitation. Vivre à cheval est presque une nécessité pour le paysan des comitats, et c’est pour cela aussi sans doute que, dans les campagnes, les hommes et les femmes elles-mêmes portent ces hautes et lourdes bottes à l’écuyère qu’ils s’efforcent de poétiser en y attachant l’éperon traditionnel.

Quant à la législation, les hommes qui ont travaillé si courageusement à l’améliorer ne se dissimulent pas combien elle est encore imparfaite. Ils voudraient la dépouiller entièrement de son caractère féodal, et ils ont devancé de leurs vœux les réformes entreprises aujourd’hui par l’Autriche. Dans les diètes précédentes, ils ont déjà demandé à plusieurs reprises que le paysan fût déclaré propriétaire de sa ferme, et que la noblesse abdiquât à cet égard toute prétention. C’eût été l’abolition radicale des corvées. En prenant à cœur cette question, les libéraux hongrois n’obéissaient point exclusivement à une idée de justice. Des souvenirs historiques toujours douloureux, des espérances politiques fort séduisantes, appelaient de ce côté toute leur sollicitude. Ces souvenirs remontent un peu haut : ce sont les souvenirs mêmes du désastreux combat de Mohacz, qui entraîna, comme on sait, la ruine de la Hongrie. Peu d’années auparavant, la jacquerie de George Docza avait été éteinte dans des flots de sang, et toute la classe agricole avait été ramenée violemment au servage absolu. La défaite de Mohacz fut regardée comme une punition divine ; les plaintes lamentables des paysans étaient montées jusqu’à Dieu ; elles avaient appelé sa vengeance. Ainsi parlaient les états de 1547 dans le préambule d’une loi qui venait apporter quelques réparations tardives à cette iniquité funeste, et le sentiment exprimé par eux est resté dans les esprits comme digne d’être à jamais médité. Il serait facile d’en retrouver les traces dans les débats animés et parfois éloquens auxquels la réforme a donné lieu dans les diètes de 1832, 1836 et 1840. C’est sous l’impression d’une idée tout-à-fait analogue qu’un membre de la seconde chambre, rappelant les guerres de l’Autriche contre la France, lançait à la face de l’aristocratie conservatrice les accusations d’impuissance militaire, et célébrait avec le poète la mâle énergie des générations rustiques, rusticorum mascula militum, proles.

Cet espoir d’une ère meilleure, cette ambition de revivre, qui possèdent aujourd’hui les imaginations en Hongrie, ne commandent-ils pas d’entourer de tous les soins la classe en qui réside principalement la vie nationale dans son énergie et dans sa vérité ? Lui donner du bien-être et des droits, n’est-ce pas fortifier la nationalité ? n’est-ce pas semer pour récolter ? Ainsi pensent les Magyars et les Illyriens de la Croatie et de la Slavonie, les uns et les autres dans leur intérêt distinct. En effet, dans cette question de propriété, il faut dès à présent tenir compte de la question nationale, qui occasionne chaque jour de très grandes souffrances sur tous les points où la différence des races vient compliquer les rapports de paysan à seigneur. Dans le centre de la Hongrie, depuis la Drave jusqu’au pied des Carpathes, la population des campagnes est en très grande majorité magyare comme l’aristocratie ; mais dans le nord et le long de la frontière de la Moravie et de la Gallicie, sur une largeur d’environ trente lieues, les paysans sont en