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de la mort de Platon, c’est-à-dire le 7 novembre, et dont Marsile Ficin nous a conservé le souvenir dans son commentaire de Platon.

Il y a neuf convives : c’est le nombre des muses, c’est le nombre aussi des convives du Banquet de Platon. Comme dans le Banquet, après s’être livrés modérément aux plaisirs de la table, on se met à disserter sur l’amour ou plutôt à commenter le Banquet de Platon. Ne vous attendez pas à trouver ici cette grace de la conversation socratique qui passe aisément de la familiarité la plus charmante à la plus haute gravité l’érudition des platoniciens de Careggi n’a pas ces simples allures ; elle est enthousiaste, et, ce qu’il y a de pis, un peu déclamatoire. « Non, dit Marsile Ficin qui commence l’entretien, ce n’est ni des philosophes Anaxagore, Damon ou Archelaüs, ni du rhéteur Prodicus, ni d’Aspasie, la maîtresse de l’éloquence grecque, ni du musicien Conus que Platon nous annonce qu’il avait appris la doctrine de l’amour. C’est de la prophétesse Diotime, c’est d’une femme inspirée par l’esprit divin qu’il avait reçu la science, disait-il, sans doute pour montrer qu’il n’y a que l’inspiration de la divinité qui puisse faire comprendre aux hommes ce que c’est que la vraie beauté, le véritable amour, tant est grande et sainte la faculté d’aimer. Loin donc de ce banquet divin, loin d’ici, profanes qui, vautrés dans la fange de la vie terrestre et vils esclaves de Bacchus et de Priape, ravalez aux plaisirs de la terre l’amour, cet esprit des cieux ! Mais vous, chastes compagnons qui, livrés au culte de Diane et de Minerve, jouissez de la liberté des purs esprits et de la joie éternelle de l’ame, venez et écoutez avec un zèle respectueux les mystères divins que Diotime a révélés à Socrate. »

Ne nous laissons pas duper par ces grandes paroles : la doctrine de l’amour, telle que Platon l’avait conçue dans le Banquet, revient ici tout entière. Ce n’est plus l’amour de Dieu substitué à l’amour terrestre, comme dans les pères de l’église ; ce n’est plus l’amour d’une dame servant, comme dans le Dante, dans Pétrarque et dans les héros de chevalerie, d’initiation aux bons et aux grands sentimens : c’est un amour plus philosophique à la fois et moins pur. Je m’explique : c’est l’amour tel que Platon l’avait reçu des mains de la société grecque et tel qu’il l’avait transformé, sans pouvoir ou sans vouloir le séparer entièrement de son commerce avec les sens, touchant encore à la terre par la forme, qui est la beauté ici-bas, au ciel par l’idée, qui est la beauté céleste. Cette doctrine, toute païenne à la fois et toute philosophique, est celle qui reparaît dans les platoniciens du XVe siècle en Italie. Elle convient au génie italien ; elle convient aussi, disons-le, aux mœurs de l’Italie du XVe siècle. Elle convient au génie italien, parce qu’elle s’accorde admirablement avec le génie des arts et le culte du beau. Platon, en effet, dans son Banquet, n’a pas seulement créé une