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sentiment public élevé, une chaleur de bonne intelligence politique qui s’y joignait et qui scella le lien.

Je n’énumérerai pas les divers articles que M. de Rémusat donna aux Tablettes et qu’il n’a pas recueillis. J’y relève seulement une sorte de manifeste romantique sous le nom de Revue des théâtres qui fit du bruit. De tels articles d’initiative, à cette date, eurent beaucoup d’effet. Bien des lettrés alors plus en vue, et qui occupaient le devant de la scène, s’en tinrent pour avertis et se mirent au pas. Combien de gens distingués de ce temps-ci qui se croient les chefs du mouvement, qui le sont jusqu’à un certain point, et qui ont été traînés à la remorque depuis vingt-cinq ans dans leurs jugemens littéraires ! M. de Rémusat, par sa critique hardie et inventive, ou par sa conversation qui en tenait lieu, a été un de ces constans remorqueurs, et que le plus souvent le public n’apercevait pas.

Très partagé encore au commencement de 1824 par l’activité politique, secrétaire du comité directeur des élections générales et se multipliant sous l’influence de ce comité dans les divers journaux de la gauche, il se retrouva tout d’un coup disponible après les élections de cette année qui laissèrent sur le carreau le parti libéral, déjà bien blessé par la guerre d’Espagne et par l’éclat du carbonarisme. Il fallut cesser de s’occuper de politique active ; il revint à la philosophie et à la littérature. C’est alors (dans l’automne de 1824) que le Globe fut fondé. Il s’y porta avec sa richesse d’idées, avec son expérience et son tact qui corrigeait l’âpreté de certaines autres plumes vaillantes. Une partie de la contribution littéraire et philosophique qu’il y fournit, mais un simple choix seulement et qu’il aurait pu beaucoup étendre, remplit la seconde moitié du premier volume des Mélanges.

Ce qui caractérise la critique littéraire de M. de Rémusat, c’est à la fois la finesse et l’étendue. Pour être un parfait critique sans prédilection ni prévention exclusive, le plus sûr serait, je crois l’avoir dit ailleurs[1], de n’avoir en soi que la faculté judiciaire, avec absence de tout talent spécial qui vous constituerait juge et partie : ainsi se réaliserait la souveraine balance. Ou bien, si le critique se mêle une fois d’avoir ses talens d’auteur, oh ! alors il n’a guère qu’une manière de s’en tirer : qu’il n’ait pas un talent seul, mais qu’il les ait tous, au moins en germe. C’est le vrai moyen de comprendre tout ce qu’on juge, presque en homme du métier et sans les inconvéniens du métier. Le parfait critique, ainsi considéré, serait donc celui qui aurait la faculté d’être tour à tour, ne fût-ce qu’un moment, artiste dans tous les genres, et de nous offrir en lui l’amateur universel. Tel est aussi M. de Rémusat. Voyez plutôt : s’il se prend à la chanson, il n’a qu’à se ressouvenir pour nous

  1. Dans l’article sur M. Magnin, Portraits contemporains (1846), tome II, p. 314, et Revue des Deux Mondes, livraison du 15 octobre 1843.