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yeux à l’éclat facile des œuvres pittoresques et brillantées, elle a rendu ingrate et presque impossible la tâche des écrivains qui respectent encore la conscience publique. Il est devenu difficile de prendre beaucoup de peine pour un public résolu à en prendre si peu lui-même ; il est plus difficile encore, en présence des assertions tranchantes et des solutions systématiques, de ne dire que ce qu’on sait, de confesser ce qu’on ignore, et de chercher dans des causes primordiales et multiples l’engendrement d’effets multiples eux-mêmes et souvent contradictoires entre eux ; il est enfin souverainement délicat et presque ridicule, en face d’un siècle auquel on a donné des explications pour toutes choses, de reconnaître qu’après tout il n’y a que la volonté de Dieu et les vues de sa providence pour expliquer les principaux accidens de l’histoire. Telle est pourtant la vérité, et l’on n’est un historien qu’à la condition de le croire, de le dire et de le prouver.

Le principal titre d’honneur des lettres françaises dans notre siècle est assurément le progrès des sciences historiques, provoqué par l’association de l’esprit politique à l’esprit d’investigation. On a observé les peuples dans l’intimité de leur existence en cessant de s’arrêter aux incidens et aux noms propres, et l’on s’est efforcé d’étudier à leurs sources mêmes la vie des nations et le génie des races, afin d’en signaler les lointains écoulemens. De grands esprits sont parvenus à appliquer avec bonheur l’expérience, acquise au prix des révolutions, au discernement des faits dont la signification avait échappé à nos pères. Pour nous, l’histoire est donc devenue plus pratique et plus transparente ; mais, à côté de ces avantages, cette méthode politique n’a pu manquer de présenter aussi ses inconvéniens : le côté divin des choses s’est en quelque sorte dérobé aux regards, et l’action de la Providence a cessé d’être sensible. Remettre Dieu en pleine possession de l’histoire sera désormais la grande tâche dévolue au génie, et c’est surtout dans nos glorieuses annales que sa pensée resplendit toujours visible et toujours présente.

Si, contrairement à toutes les vraisemblances humaines, il est sorti de la vaste confédération des Gaules transformée par Rome et bouleversée par les barbares une monarchie plus compacte et plus forte que les autres états continentaux, c’est que la Providence a voulu qu’il en fût ainsi. Pour la suite de ses desseins sur le monde, il fallait un peuple au bras fort, à l’esprit logique et résolu, qui vécût d’une même pensée et s’inspirât aux mêmes sources d’enthousiasme et de dévouement ; il fallait au centre de l’Europe une nation capable d’accepter avec entraînement et d’accomplir avec persévérance la grande mission sociale réservée à son initiative. Dieu a donc marqué la France d’un sceau d’élection qui brille à son front aux jours mêmes où elle le répudie ; il lui a prodigué moins encore les grands hommes que les hommes