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fils, après la mort de Philippe de Rouvres en 1363, avait signalé un pas décisif dans la voie nouvelle où la monarchie s’était engagée avec tant d’imprévoyance. Il fallut près d’un siècle de luttes, de machinations et de crimes, pour détruire ces hautes situations princières élevées à côté des rois et par leurs propres mains, et cette épreuve dans laquelle la royauté se trouva engagée contre son propre sang ne lui fut pas moins redoutable que ne l’avait été sa lutte contre le baronnage et contre l’Angleterre.

Un homme naquit alors qui, par ses qualités comme par ses vices, parut prédestiné à ces guerres domestiques et à ces conjurations de palais dont la France emprunta le triste secret à l’Italie. Louis XI attaqua la nouvelle féodalité par l’astuce et par le crime, comme Louis IX avait attaqué la primitive féodalité territoriale par l’autorité de ses lois et par celle de sa sainteté. L’un triompha de ses ennemis par son habileté, l’autre par le prestige de sa grandeur morale, et l’espace qui sépare ces deux hommes suffit pour embrasser d’un seul coup d’œil tous les progrès de la corruption publique depuis le commencement du XIIIe jusqu’à la fin du XVe siècle. Ce qui distingue le fils de Charles VII de tous les rois qui l’ont précédé et de tous ceux qui l’ont suivi, ce qui le distingue surtout des princes de cette maison de Valois si peu politiques, mais si brillans dans leur légèreté même, c’est qu’il semble aussi étranger à sa famille qu’à sa patrie ; c’est une figure sans expression, un roi sans entrailles, dans la poitrine duquel rien de français et, pour ainsi dire, rien d’humain ne semble battre. Son règne est une longue partie d’échecs dirigée par un joueur impassible : il poursuit le succès par toutes les voies avec une sorte d’affreuse innocence, parce que son ame est comme pétrifiée dans une seule pensée et dans une seule espérance. Louis XI commit le crime le plus grand dont il soit donné à un roi de se rendre coupable : il altéra le génie national dans sa source, et c’est pour cela que sa mémoire demeure flétrie ; mais il brisa les mailles dans lesquelles l’imprévoyance de ses prédécesseurs avait enlacé la royauté, il porta au système des apanages princiers des coups dont il ne se releva plus. L’habile rival de Charles-le-Téméraire entama ce duché de Bourgogne, devenu sous une dynastie française l’ennemi le plus redoutable de la France ; il prépara la chute prochaine de la Bretagne, où régnait, sous l’influence anglaise, une autre branche de la maison de Capet ; il hérita des princes d’Anjou, autre rameau de la même tige ; enfin, après vingt-deux années de guerres et de manœuvres, après avoir triomphé des libertés publiques par les mêmes moyens qu’il avait employés contre les princes de son sang, ce redoutable personnage domina seul et presque solitaire dans ce royaume, rasé comme un ponton par la tempête, et put pressentir le moment où l’héritier de son absolu pouvoir s’écrierait : L’état, c’est moi !