Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/509

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ports de la mer Noire, et poussaient jusqu’à Taïganrock. La richesse revenait avec eux dans leur patrie ; la prospérité y croissait, et, sous l’influence de mœurs plus douces, des écoles primaires s’élevaient dans presque toutes ces îles. Antérieurement, à l’époque où la Turquie soutenait ses dernières guerres contre Venise et les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, celles des îles qui avaient fourni des équipages à ses galères reçurent d’elle certains de ces privilèges dont les conquérans sont toujours avares. Les Cyclades et les Sporades purent n’admettre sur leur territoire aucun mahométan, se gouverner à leur gré, confier à leurs notables ou démogérontes le droit de faire leurs affaires et exercer librement leur culte, à la seule condition de payer une somme annuelle entre les mains du capoudan-pacha.

On le voit donc, les Grecs, soit par la souplesse de leur esprit, la vivacité de leur intelligence et l’instruction qu’ils savaient acquérir, soit par leurs vertus guerrières, soit par leur rare expérience et je dirais presque leur amour de la mer, c’est-à-dire par cet ensemble de qualités diverses qui avaient fait de leurs ancêtres la nation la plus complète du monde, les Grecs avaient réussi à se créer une position unique dans les annales des peuples asservis. Peu à peu, à force d’art et de persévérance, ils avaient presque triomphé d’un despotisme brutal, ne lui laissant de ses armes que celles qui lui étaient nécessaires pour les aiguillonner de temps en temps, les tenir en haleine et les pousser enfin à la complète liberté.

C’est dans ces favorables conditions que, chez les Grecs, avant qu’ils fussent redevenus une nation, se forma et se développa un véritable système d’instruction publique, dont les parties, en apparence indépendantes les unes des autres, étaient cependant unies par un lien puissant, celui d’une langue nationale. Les premières écoles coûtèrent cher à leurs fondateurs. Il fallut tromper les Turcs et cacher, sous le nom moins honorable de maisons de correction, le but véritable de ces établissemens. Si quelque gouverneur de province découvrait le pieux mensonge, c’est à prix d’or qu’on achetait son silence. Bientôt cependant les écoles prirent racine et devinrent florissantes. Les deux premiers siècles de la conquête avaient vu naître celles du mont Athos, de Janina, de Smyrne, de Pathmos. Alexandre Mavrocordatos, grand-interprète de la Porte, enrichit les collèges déjà fondés, y fit d’importantes réformes et les dota de plusieurs savans ouvrages qu’il avait composés lui-même en grec ancien. Son fils Nicolas, devenu grand-hospodar en 1716, employa son crédit à établir en Valachie une imprimerie et une école. Cependant la langue moderne prenait des formes plus arrêtées, mais elle ne faisait guère encore que répéter les ouvrages publiés dans les autres pays de l’Europe. Il lui manquait cette consécration que reçoivent les langues le jour où elles expriment des idées et des sentimens nationaux. Le poète Riga lui imprima ce nouveau caractère. Ses poésies, où l’inspiration et la correction marchent toujours ensemble, furent partout chantées avec enthousiasme. La Grèce s’y était retrouvée et reconnue.

La mort de Riga, qui avait rêvé trop tôt l’indépendance, communiqua plus de puissance encore à ses hymnes patriotiques. Les esprits s’élancèrent avec plus d’ardeur que jamais dans la voie des études. De nouvelles causes s’ajoutant aux anciennes précipitèrent ce mouvement, devenu général. Les dernières guerres avec la Russie avaient affaibli la Turquie et enhardi les Grecs. Les écoles, qui