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obligations et vous créent les plus grands embarras. M. Ch. Hansen a pris le vrai moyen pour résoudre ce problème. Il s’est fait Grec. Il s’est mis une bonne fois dans l’esprit qu’il était, non à Munich ou à Copenhague, mais en Attique, dans un pays où la neige est un phénomène et la pluie un événement, et où ce que l’art a de mieux à faire, pour produire des œuvres qui aient un sens, c’est de s’inspirer du passé. De là les mérites réels de son ouvrage. On y retrouve partout le respect intelligent de la tradition. Le style en est simple et pur. Les deux colonnes ioniques qui supportent un fronton de marbre comme elles, au centre de la façade, charment l’œil par leur légèreté et leurs proportions. Un portique soutenu par des antes s’étend des deux côtés de la façade, se termine par deux ailes sans ouvertures, et donne à l’ensemble de l’étendue et de la dignité. On sait aujourd’hui, à n’en plus douter, que les Grecs peignaient et doraient quelques-unes au moins des parties extérieures de leurs édifices. M. Ch. Hansen n’a pas craint de les imiter. Il a peint de couleurs brillantes et gaies les chapiteaux des antes et des pilastres, et a fait courir sur les volutes de ces colonnes et sur les ailes des sphinx qui ornent le fronton quelques rares filets d’or d’un goût exquis et d’un excellent effet. L’aspect général est élégant et distingué. J’ajouterai que l’édifice est à la taille du pays. Il est ici des proportions indiquées, imposées par la nature même du sol. Les nombreuses collines qui s’élèvent de tous côtés dans la plaine de l’Attique et l’embellissent sont, pour les monumens, comme des piédestaux ou des cadres. Trop petits, les monumens s’y perdent ; trop grands, ils les débordent ou les écrasent, et l’œil est blessé par cette absence d’harmonie entre l’architecture et le pays. C’est à l’art de consulter la nature et de bien s’entendre avec elle. M. Hansen est arrivé à cet accord. Placé au pied du mont Lycabette, le bâtiment de l’université s’encadre dans ses deux pentes et se couronne de son élégante cime, à laquelle l’astronome Méton avait donné dans l’antiquité une sorte de consécration scientifique. Ainsi, de toutes les manières, l’édifice convient aux lieux où on l’a élevé.

Les lieux aussi conviennent à l’édifice et à l’institution elle-même. En France, à la Sorbonne, dans cette vaste cour où l’architecture ne manque assurément pas, mais qui est sans horizon, où l’œil ne rencontre que des murs gris et mornes, où le soleil ne descend qu’à regret, et où pénètrent pourtant les bruits importuns de la rue, ce n’est que par un violent effort d’esprit qu’on arrive à se faire une idée des grandes scènes antiques. L’air, la lumière, l’espace, les aspects, tout vous manque. La vie moderne vous circonvient, vous enveloppe, ne vous laisse pas une issue par où votre imagination puisse lui échapper. Plus heureux que nous, les étudians d’Athènes n’ont qu’à s’arrêter sur l’escalier de marbre de l’université, et, de quelque côté qu’ils tournent leurs yeux, ils voient l’antiquité élever au-dessus des ruines sa tête immortelle, et leur apparaître toujours belle, toujours sage, toujours éloquente. En face, c’est le Parthénon, le temple de cette grande déesse sans terrestres amours, sans faiblesses, sans misères, en qui la raison grecque, mûrie par le temps, avait réuni tant de majesté, tant de perfections sublimes, que le Dieu de Platon semblait se cacher déjà sous le chaste front et rayonner dans les calmes regards de la Minerve de Phidias. A côté de l’Acropole est le rocher de l’Aréopage ; à côté de l’Aréopage, cet autre rocher si petit et si grand, si humble et si fier à la fois, le Pnyx, où Démosthènes