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enseigna aux hommes de tous les siècles le langage des peuples libres. Au midi, sur les flots, se dresse Égine, cette rivale utile qui força les Athéniens à apprendre la mer et à oser autant sur ses mouvantes plaines que sur le sol de Marathon ; au couchant, Salamine, qui a recouvré son vrai nom. A droite, l’Académie étend dans la plaine ses bois au pâle feuillage et ses jardins solitaires, mais poétiques encore comme au temps de Platon. Plus à droite encore s’arrondissent au-dessus de la plaine deux collines, ou plutôt deux tertres arides, couronnés l’un du tombeau d’Ottfried Müller, l’autre d’une chapelle, lieux sacrés encore comme autrefois, dominant la verte vallée où disparut OEdipe « sans que la foudre l’eût frappé, sans qu’une violente tempête l’eût englouti, » et où, « parmi les lauriers-roses, les oliviers et les vignes fécondes, » éclatent au soleil couchant les « blanches maisons de Colone[1]. » A gauche, du côté de l’Hymette, non loin de l’Ilissus, est l’emplacement du Lycée, et plus près, à côté de l’université elle-même, peut-être sous la terre qui porte ses murs, le tombeau ou dort Proclus, avec Syrianus son maître[2]. Voilà le spectacle dont on jouit du seuil de l’université, voilà les lieux qui l’environnent. Lue, expliquée, commentée en face de ces monumens, de ces rochers, de ces îles, de ces plaines, l’antiquité s’éclaire d’un jour ailleurs inconnu qui la ranime et la rend présente. Or, qui ne voit ce que cet auguste voisinage peut communiquer d’efficace aux leçons du passé ou d’autorité aux maîtres qui s’en inspirent et le continuent ? Et puis, sous le ciel pur d’Athènes, au sein de cette nature sereine et grave, près de ces grandes ruines, imposantes comme le visage d’un mort illustre qui vient à peine d’expirer, vous sentez votre ame se calmer, s’élever sans cesse, comme si l’air que vous respirez vous faisait une éducation nouvelle, comme s’il apportait de temps en temps à vos oreilles charmées les harmonieux discours de ces hommes presque divins qui ne séparaient ni le beau du bien ni le bonheur de la sagesse.

L’université d’Athènes a donc incontestablement, sur toutes les autres universités de l’Europe, l’avantage de la position. Si à d’autres égards elle leur est encore inférieure, ses commencemens montrent assez qu’elle est capable de progrès. La collation des grades ne s’y fait pas encore d’une manière arrêtée et régulière, mais on y subit des examens qui sanctionnent les études et qui servent à constater l’aptitude spéciale des jeunes étudians à telle ou telle carrière. Les statuts qui doivent la diriger attendent encore une rédaction définitive, mais l’ordre et la discipline y règnent. On y regrette un cabinet de physique plus complet et des collections scientifiques, mais elle possède déjà une bibliothèque de cinquante mille volumes, et dont l’histoire n’est pas moins curieuse que celle du bâtiment lui-même. C’est encore avec des souscriptions, avec les dons de la Grèce et de l’Europe, que l’habileté patriotique de M. Typaldos est parvenue à former en quelques années ce trésor d’ouvrages excellens. L’Autriche, la Bavière, le royaume de Naples, envoient annuellement à l’université des livres, des tableaux, des médailles. La France a mis la bibliothèque d’Athènes au nombre de ses bibliothèques nationales[3]. Des auteurs célèbres, des libraires, imitent

  1. Sophocle : OEdipe à Colone.
  2. Marini, Vita Procli, 36. — Leake, Topography of Athens, t. I, p. 207.
  3. Par une ordonnance royale rendue en 1845 sur un rapport de M. de Salvandy, ministre de l’instruction publique.