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De quoi donc s’en manque-t-il pour que cette œuvre immense de patriotisme et d’enrichissement vienne enfin à exécution ? La marine prussienne est, il est vrai, insuffisante aussitôt qu’il s’agit de relations transatlantiques, puisqu’elle est employée tout entière à conduire les bois et les grains du Nord sur les marchés européens ; mais on donnera l’avantage du pavillon national aux Hanséatiques ; mais les Anglais eux-mêmes, d’après les traités de 1824 et de 1841, pourront être traités comme nationaux dès qu’ils se consacreront au transit direct ; mais enfin les Américains, attirés par le dégrèvement, viendront apporter leurs marchandises au Zollverein avant de toucher ailleurs. N’est-ce point tout d’abord assez ? Et cependant les capitaux afflueront, l’esprit d’entreprise s’exaltera de plus en plus, et le Zollverein se bâtira des vaisseaux. Il y a peut-être des représailles à craindre au début de cette fortune qui s’annonce si brillante : les entrepositaires d’autrefois, maltraités par les droits différentiels, voudront se venger ; seule partie maritime du Zollverein actuel, seule exposée pour l’instant à ces atteintes, quelles qu’elles soient, la Prusse se dévoue.

Tel est le manifeste de ce dévouement prussien, avec ses illusions volontaires et ses prétentions transparentes, avec son adresse et sa naïveté. Cette œuvre distinguée des hauts employés de Berlin, récemment encore reproduite par la presse, n’eut point toutefois de résultat bien immédiat dans le temps même où elle se produisait. Les différends survenus entre le Hanovre et le Zollverein, la défiance naturelle des états du midi pour toutes les mesures qui n’étaient point de la protection absolue, les pénibles dissentimens qui éclatèrent dans les grandes conférences douanières de 1845 et de 1846, l’apathie calculée de Hambourg, tout concourut à laisser alors assoupir cette question, si soudainement éveillée. L’Angleterre, cependant, ne s’y était pas trompée ; elle avait du premier coup compris la portée de cette agitation nouvelle, et senti le tort que lui causerait un rapprochement plus étroit entre le Zollverein et les états séparatistes. Unir les états de la mer du Nord au Zollverein par quelque lien que ce fût, c’était commencer une nouvelle puissance navale ; substituer à la libre concurrence des transports sous le régime des droits fixes le privilège du transit direct par navires nationaux sous un régime de droits différentiels, c’était inaugurer au profit du Zollverein un nouvel acte de navigation. L’Angleterre se mit tout aussitôt en mesure d’entraver des projets si menaçans pour sa grandeur commerciale.

Par le traité du 2 mars 1841, le gouvernement britannique avait reconnu le Zollverein comme une fédération constituée, ayant par conséquent le droit de faire corps en face de lui. Il avait fallu bien des négociations et des peines pour l’amener à confesser ainsi en toute solennité l’avènement d’un grand corps de plus, et d’un corps plein de