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faire du soleil ; sir Robert Peel est la grenouille verte de l’Angleterre. Quand il disparaît, il fait mauvais temps comme aujourd’hui ; mais, quand il montre la tête, le soleil reparaît avec lui, la Cité prend un air de fête, et un radieux sourire épanouit les joues des banquiers et des aldermen.

Aussi voyez quel intérêt s’attache à ses moindres démarches. L’autre jour, il s’en va dîner à Liverpool, avec le maire et les principaux négocians de la ville. À cette nouvelle, voilà toute l’Angleterre en émoi ; la bourse s’agite, et tous les yeux se tournent vers le nord, d’où doit venir la lumière. Cet homme, aujourd’hui en dehors des affaires, qui s’efface lui-même autant que possible, ce simple propriétaire rentré dans son manoir et qui s’occupe bien tranquillement de faire des cours d’agriculture à ses fermiers, il ne peut faire un pas, mettre un jour le pied hors de sa maison, sans que le monde de la banque et du commerce tressaille, s’interroge et se dise : « Que pense-t-il de la crise ? Que va-t-il dire ? A-t-il un moyen ? A-t-il une recette ? » L’attention et l’anxiété de tous étaient suspendues à ses lèvres. À Liverpool, au centre même de la crise commerciale, au milieu du bruit des faillites tombant les unes sur les autres, comment pourrait-il ne rien dire ! Hélas ! l’oracle est venu, il a vu, et il s’est tu !

Cependant, s’il a cru qu’il s’échapperait ainsi sans rien dire, il s’était bien trompé. Sir Robert Peel passe pour avoir toujours un secret ; mais en général il le garde pour lui. On a dit naguère qu’il se promenait au milieu des whigs en boutonnant son habit et en mettant les mains sur ses poches pour ne pas être volé. Il paraîtrait que cette fois il a bien voulu se déboutonner. Ces pauvres ministres whigs, ayant la tête aux champs, comme cela leur arrive toujours quand ils se trouvent pris dans un embarras de finances, l’ont appréhendé au corps, et ne l’ont pas lâché qu’il n’eût donné son avis. Dans l’antiquité, on forçait les oracles à parler ; au moyen-âge, quand les statues des saints restaient sourdes aux vœux des fidèles, ceux-ci les battaient pour les rendre plus dociles. L’autre jour, on a vu le moment où la Cité allait mettre sir Robert Peel en chartre privée pour le forcer à donner un conseil. Il arrive à Londres ; la nouvelle se répand par la ville avec la rapidité du télégraphe électrique. Peel est ici, la bourse respire. Le chancelier de l’échiquier est allé consulter le grand alchimiste ; Peel lui a dit la bonne aventure ! Peel a parlé ; Peel a délié la langue et les mains des ministres ! Lord John Russell écrit aux directeurs de la banque ! En un clin d’œil, la confiance renaît, les affaires reprennent, et le vaisseau de l’Angleterre, retenu à l’ancre par une loi de fer, reprend sur l’océan sans fond du crédit sa course aventureuse, au chant de Rule, Britannia ! Comment un homme à qui ses adversaires font un pareil piédestal ne serait-il pas tout-puissant ?

Du reste, dans le cas présent, on comprend aisément que lord John Russell n’ait rien voulu faire sans consulter sir Robert Peel. La résolution prise à la dernière extrémité par le ministère anglais pour venir au secours du commerce était une infraction à un acte du parlement passé sous l’ancienne administration, en 1844, et appelé la charte de la banque. Tout le monde sait maintenant que cette loi, destinée à régler et restreindre dans de justes limites l’émission du papier-monnaie, imposait à la banque d’Angleterre l’obligation de fournir en or la représentation de ses billets au-delà du chiffre de 14 millions de livres sterling. C’est à cette disposition principale de l’acte de 1844 que les ministres ont autorisé les directeurs de la banque à déroger. Ils ont pris cette mesure