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maintenant évanouie, de cette ancienne colonie. La France faisait, avant la révolution, avec la seule île de Saint-Domingue, un commerce énorme, qui a presque complètement disparu. Le sucre, le café, toutes les denrées coloniales, nous arrivaient avec profusion de cette terre privilégiée ; Saint-Domingue était la reine des Antilles, et la prospérité aujourd’hui si grande de Cuba eût été peu de chose en comparaison. Faut-il donc dire, avec les partisans de l’esclavage, que la race noire et la race jaune soient incapables d’un travail volontaire, et sommes-nous forcés d’accepter cette assertion intéressée des colons, que, le jour où sera décrétée la liberté des noirs, les régions tropicales tomberont dans l’inculture et l’infertilité ?

Non, ce n’est pas là, quoi qu’on en dise, une conséquence forcée. Sur beaucoup de points, l’émancipation des esclaves des colonies anglaises, tout en ralentissant la production, ne l’a pas arrêtée. Même à Haïti, les noirs émancipés font encore un certain travail, puisqu’ils ont encore une exportation, si faible qu’elle soit ; mais les germes de civilisation ont besoin d’être entretenus avec soin. Maintenant que la France paraît avoir terminé avec Haïti ses anciens différends, il est de son devoir d’encourager les progrès de la culture dans ce malheureux pays. La république manifeste sa bonne volonté, car elle vient de réduire de 40 à 30 pour 100, sur la demande du gouvernement français, les droits antérieurement perçus sur les marchandises françaises ; de son côté, la France devrait bien aussi accorder quelques réductions de droits aux marchandises haïtiennes.

On peut dire que, dans un pays comme Haïti, l’avenir de la production est en quelque sorte illimité. On doit donc s’attendre à un magnifique développement de richesses, si jamais le travail parvient à s’y implanter de nouveau. Le noir et le mulâtre sont naturellement paresseux, indolens : ils ont besoin d’être fortement excités pour faire quelque chose ; mais ils sont en même temps vaniteux et sensuels, ils aiment les produits perfectionnés de l’Europe ; tout ce qui rend la vie brillante et commode leur plaît et les attire. C’est par là que le commerce européen et surtout français peut les saisir. Pour se donner ces jouissances du luxe qu’ils recherchent avec avidité, il faut avoir quelque chose à donner en échange, et, comme ils ont bien peu à faire pour obtenir de leur sol des trésors, grace à sa merveilleuse fécondité, il n’est pas absolument impossible qu’ils prennent le parti de travailler un peu plus.

C’est dans cette voie que le gouvernement français doit chercher à les pousser, quand ce ne serait que dans l’intérêt des indemnitaires, car, même avec les nouvelles conventions, si Taïti continue à être si misérable, on a toujours de grandes chances de n’être pas payé. Toutefois cet intérêt égoïste n’est pas le seul, il y a encore l’intérêt général du commerce français, et, mieux encore, l’intérêt de l’humanité et de la civilisation universelle. La France a, par la force des choses, une sorte de tutelle à exercer sur Haïti ; elle ne doit pas borner ses rapports avec cette république naissante à lui demander de l’argent, il faut encore qu’elle l’aide dans ses premiers pas, et qu’elle lui facilite son avènement définitif au nombre des nations. Rien ne peut être plus efficace dans l’intérêt commun qu’un abaissement des droits sur le sucre et sur le café d’Haïti, et c’est pourquoi nous insistons dans ce sens.