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Afrique, les personnes et les lieux, et qui ne dépeint jamais par ouï-dire, mais d’après ses propres impressions et ses propres souvenirs.

Cette histoire a un autre mérite bien rare chez un témoin, c’est l’impartialité. M. de Mont-Rond ne partage aucune des passions qui, pour beaucoup de gens, cachent en Afrique une part ou une autre de la vérité. Il n’est ni l’adversaire systématique ni le panégyriste des Arabes, ni l’ennemi ni l’ami exclusif des colons, ni le partisan violent ni le détracteur des principaux chefs de l’armée. Il laisse percer, il est vrai, une légère prédilection pour le plus brillant officier qu’ait produit la guerre d’Afrique, M. le général Lamoricière ; mais cette prédilection, qui est du reste assez naturelle, ne le rend malveillant pour personne ; il raconte purement et simplement, et comme il n’a aucun système particulier de guerre ou de colonisation, comme il connaît bien les faits, il est presque toujours vrai, ce qui est sans aucun doute la plus belle des qualités pour un historien contemporain.

Ce n’est qu’en lisant ces deux volumes qu’on peut bien se rendre compte des immenses difficultés qu’a présentées cette conquête. On peut dire qu’avant 1840, le France n’a jamais su ce qu’elle entreprenait. C’est là l’unique et grande faute qui a été commise, faute qui a produit des fruits amers, quoique glorieux ; on s’est jeté dans la conquête du pays sans le bien connaître, sans savoir ni quelle en était la constitution physique ni quel était au juste l’état social des habitans. M. le maréchal Bourmont, le conquérant d’Alger, est le premier qui ait fait l’erreur ; il voulait occuper tout le pays avec sa petite armée ; le rappel qui est venu l’atteindre après la révolution de juillet a seul prévenu les catastrophes qu’il aurait certainement essuyées et dont sa malheureuse expédition de Blidah était le début. Après lui, le maréchal Clauzel est tombé dans la même méprise ; il a cru, avec 25 ou 30,000 hommes, pouvoir soumettre par la force une contrée immense et difficile, défendue par la population la mieux organisée pour la guerre. Tout le reste a été la conséquence de ce premier tort.

On peut diviser en trois périodes les dix-sept années de la guerre d’Afrique ; la première commence à la prise d’Alger, le 5 juillet 1830, et finit à la retraite de Constantine, fin de novembre 1836 ; la seconde comprend l’administration du général Damrémont et du maréchal Valée, du commencement de 1837 à la fin de 1840 ; la troisième est remplie tout entière par le gouvernement du maréchal Bugeaud, de 1841 à 1847. Il est possible de caractériser en peu de mots chacune de ces trois périodes. La première est celle des illusions et des tentatives imprudentes, celle des premières expéditions sur Médéah, Tlemcen et Constantine, expéditions inutiles, toujours suivies de retraites désastreuses, et qui n’aboutissaient qu’à exciter les indigènes contre nous. — La seconde est celle où le gouvernement français, se sentant mal engagé, essaie de se soustraire aux nécessités qu’ont fait naître de funestes essais : c’est le temps de la paix de la Tafna, de l’organisation de la province de Constantine et de l’obstacle continu.- La troisième est celle où la France, prenant décidément son parti, se décide à faire tous les sacrifices nécessaires pour assurer la soumission entière du pays.

Maintenant que l’Algérie est bien connue, on a vraiment peine à comprendre comment un homme de guerre comme M. le maréchal Clauzel a pu se jeter si étourdiment dans des entreprises hors de toute proportion avec les moyens