Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/648

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Le tourne-broche un vendredi ! s’écria Catherine scandalisée.

— Par le Père éternel ! elle a raison, c’est un vendredi ! reprit le meunier, qui laissa tomber les guides d’un air de désolation si sérieuse, que le rire me gagna ; je n’avais point pensé à cela quand je suis parti ! Qu’est-ce que nous allons devenir ?

— N’entends-je pas mes hôtes ? interrompit une voix derrière le char-à-bancs.

Nous nous retournâmes : c’était M. le Bon, qui revenait de visiter des malades, son bréviaire sous le bras. Il souhaita cordialement la bienvenue à mon conducteur, et me prit les deux mains avec une tendresse presque paternelle.

— Je vous attendais, me dit-il ; j’ai pensé à vous, et nous aurons à causer longuement.

Puis, montrant au meunier le seuil du presbytère :

— Que notre cher voisin veuille entrer, ajouta-t-il avec une bonhomie riante ; bien que le vendredi soit un jour néfaste, nous tâcherons d’en faire pour lui un jour marqué de blanc, comme doivent l’être tous ceux du propriétaire du Moulin-Neuf.

Le fabricant de farine, qui n’avait jamais lu Horace, ne comprit pas l’épigramme du vieux prêtre ; il passa d’un air gauchement délibéré, et nous précéda dans une salle à manger, où la table était dressée. C’était une pièce vaste et simplement blanchie à la chaux, dont une profusion de fleurs vivaces faisait le seul ornement ; mais tel était le mélange de plantes grimpantes, d’arbustes verts et d’herbacées fleuries, habilement étagés selon l’élévation, la forme ou la couleur, que l’ensemble produisait sur la blanche muraille une broderie mouvante d’une grace et d’une originalité singulières. Un immense coquillage, encadré de saxifrages, recevait l’eau d’une fontaine et complétait cette décoration rustique. A cet aspect charmant, je m’étais arrêté, malgré moi, sur le seuil, et je n’avais pu retenir un cri. Mon conducteur me regarda.

— Eh bien ! voilà un genre d’ameublement que vous ne connaissez point à Paris, me dit-il avec ce rire lourd et blessant que l’on pourrait appeler le rire des enrichis ; comme vous voyez, c’est simple et peu dispendieux. Quant à l’entretien, c’est M. le Bon qui s’en charge lui-même, ; il regarde aussi ses fleurs comme ses paroissiens.

— Pourquoi non ? dit le curé avec une placidité souriante ; toutes les créatures de Dieu n’ont-elles pas droit à l’affection de l’homme ? Vous avez dit plus vrai que vous ne pensiez peut-être. Oui, ces fleurs sont une part de ma vie ; c’est une famille muette que j’élève à mon foyer de célibataire, de pauvres enfans d’adoption dont il faut diriger la sève, des vieillards auxquels je ménage la bise ou le soleil. Ne croyez pas que de pareils soins restent sans influence sur l’ame.