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Le meunier me regarda en se mordant la lèvre.

— Le prône va commencer, dit-il tout bas, tandis que M. le Bon dépouillait une magnifique bruyère de ses campanules défleuries ; mais notre hôte ne semblait nullement disposé à réaliser cette prédiction, et, revenant sans digression à ses goûts d’horticulture, il nous proposa de passer au jardin, tandis que Catherine faisait un appel à toutes les ressources du voisinage pour renforcer le dîner curial.

Nous traversâmes d’abord un parterre, dont les compartimens réguliers ne renfermaient que des plantes vulgaires et passées de mode, comme le meunier nous le fit remarquer. M. le Bon l’avait tracé et planté lui-même, en mémoire du parterre de la maison paternelle.

— Votre œil doit être fatigué de ces figures de géométrie tracées en buis, dit-il ; mais moi, je trouve dans ces œillets panachés, dans ces absinthes fleuries, dans ces fenouils verts, comme une odeur de mes jeunes années.

— C’est-à-dire que vous perdez votre meilleur coin de terre, objecta mon compagnon ; une exposition en plein midi ! Vous pourriez avoir ici des contre-espaliers et des melons.

— J’aime mieux avoir des souvenirs, répliqua doucement le curé ; c’est du luxe sans doute, mais on doit passer quelques fantaisies aux vieillards.

Il nous montra ensuite le potager, dont la culture avait le caractère d’ordre et d’appropriation qui est la grace des choses utiles ; le verger abritant quelques ruches entourées de thyms, selon le précepte de Virgile qu’il me rappela :

… Graviter spirantis copia thymbræ ;

enfin un vaste champ nommé par lui la terre de Chanaan. C’était là qu’il employait les instrumens nouveaux, qu’il semait les graines d’essai et appliquait les modes de culture encore inconnus au pays. Bordée par la route et placée vis-à-vis de l’église, la terre de Chanaan était exposée à tous les regards. Chaque dimanche, en se rendant aux offices, les paysans pouvaient l’examiner, juger les tentatives, suivre toutes les périodes de l’insuccès ou de la réussite. Les plus indifférens étaient forcés de voir, les plus obstinés de comprendre. A chaque essai, la nature écrivait sa réponse en caractères qu’aucun regard ne pouvait refuser de lire ; la vérité devenait un fait. M. le Bon l’appuyait en outre de ses exhortations et de ses enseignemens.

— C’est en soldat qu’il faut servir ce qu’on croit le bien, nous dit-il à ce sujet ; le mensonge a presque toujours l’avantage d’oser, tandis que la vérité est timide. Elle craint d’importuner, elle s’arrête devant les portes qui se ferment et rebrousse chemin vers son puits. Ce n’est pas ainsi que l’on fait triompher une cause. La guerre contre le mal