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savait que dans les guerres civiles on n’a pas le choix des instrumens, et que l’on combat avec toutes les armes qui peuvent frapper l’ennemi. Voulant donc épargner à leur orgueil une obéissance immédiate, il les engagea à visiter les paroisses afin d’y propager la révolte. L’époque de la moisson arrivait d’ailleurs, et tous les jeunes gens qui avaient pris les armes allaient retourner dans leur famille pour assister à la fête de la gerbe. Le nouveau chef résolut d’employer cette trêve passagère à organiser la reprise des hostilités. Il avait longuement étudié toutes les chances de cette guerre de moucherons contre le lion républicain ; il savait que, pour perpétuer une lutte inégale, l’important était d’envelopper sa faiblesse de mystère, de se montrer partout en ne s’arrêtant nulle part, d’enserrer enfin l’ennemi dans un réseau d’adversaires invisibles qui pussent le forcer à se tenir la baïonnette croisée devant le vide et à s’énerver dans cette fièvre de l’attente et de l’inconnu, la plus redoutable de toutes les maladies pour les forts.

Le difficile était de faire accepter un pareil plan. Si les compagnons d’enfance ou de combat de Louis Treton ne remarquaient plus sa jambe malade et ses haillons, la noblesse y prenait garde ; sa visite aux gentilshommes bretons le lui avait prouvé. Son autorité, justifiée par le seul mérite, était aux yeux de ceux-ci une usurpation tout au plus tolérée. Vu le malheur des temps, les gens bien nés pouvaient lui permettre de mourir à leurs côtés, mais non recevoir de lui des conseils, ni une direction. Pour ceux qui arrivaient de Coblentz, il ne suffisait pas que la raison fût la raison ; il fallait encore qu’elle fût de bon lieu. Jambe-d’Argent le savait, et, voulant avant tout l’adoption de ses idées, il leur chercha un père adoptif.

Son choix s’arrêta sur un gentilhomme étranger au Maine, qui s’y était fait connaître dans ces derniers mois. M. Jacques se donnait pour un officier vendéen forcé de cacher son véritable nom. Il avait paru sur la rive droite de la Mayenne peu après la destruction de l’armée catholique ; mais il n’y commandait aucune bande, et ne se montrait d’habitude que dans les momens les plus périlleux et lorsque tout semblait désespéré. On l’apercevait alors, tout à coup, aux premiers rangs ; où il donnait un ordre, faisait exécuter un mouvement, et la déroute se transformait aussitôt en victoire. C’était le Deus ex machinâ de ce drame guerrier. On comprend de quel prestige ces interventions triomphantes avaient dû l’entourer. Tout en lui d’ailleurs était fait pour exciter l’imagination populaire ; il était jeune, beau et doué de cette fascination à la fois impérieuse et pénétrante qui improvise les royautés. Son costume avait, comme celui de tous les officiers vendéens, quelque chose de chevaleresque qui fixait les regards sur les graces de sa personne. Dans les châteaux royalistes où il avait été reçu, les dames vantaient ses talens d’artiste et ses manières d’homme du monde ; les ecclésiastiques, qu’il avait