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lecteurs vulgaires. Nos écrivains dramatiques ont demandé des héros à la Castille et à l’Andalousie, nos lyriques se sont inspirés du Romancero, et la littérature espagnole, qui a toujours éveillé chez nous des sympathies particulières, a été dans ces dernières années l’objet de publications intéressantes. Ajoutons que sous le rapport commercial cette littérature a une importance réelle, les livres espagnols imprimés en France, et surtout les livres de piété, formant une branche d’exportation très active ; car il est à remarquer que, si nous maudissons la contrefaçon belge en invoquant la morale littéraire lorsqu’il s’agit de la reproduction de nos livres, nous ne nous faisons point scrupule de l’imiter, en invoquant les intérêts du commerce, quand il s’agit de reproduire et de vendre des livres étrangers.

La littérature italienne, qui, depuis plusieurs siècles, jouit en France du droit de bourgeoisie, n’a rien perdu de sa popularité. Ses écrivains anciens et modernes ont toujours reçu du public français un accueil très sympathique. Dante, Vico, Pellico et Manzoni sont maintenant chez nous tout-à-fait naturalisés. Dante surtout a les honneurs d’une véritable ovation. On trouve, en effet, pour ce poète, neuf éditions italiennes, dont plusieurs en province, dix traductions françaises, et un nombre vraiment surprenant de commentaires. La peinture elle-même a été entraînée vers le poème sublime du Florentin, et M. Eugène Delacroix, pour illustration à la Divine comédie, a donné Dante et Virgile, M. A. Scheffer et M. Ingres, Françoise de Rimini.

La littérature allemande, la dernière née des littératures européennes, a été l’objet d’un nombre assez considérable de travaux critiques et de traductions. Révélée par Mme de Staël et Benjamin Constant, popularisée par la lutte de l’ancienne et de la nouvelle école, la Germanie poétique, philosophique et érudite est devenue presque française. Ces conquêtes pacifiques au-delà du Rhin ont exercé sur le mouvement de nos idées une influence fort sensible. De l’Allemagne, on s’est avancé en Pologne, en Russie, et les philologues, les critiques partis à la recherche des épopées boréales, ne se sont arrêtés que là où finit l’univers.

La littérature anglaise figure dans les catalogues pour un chiffre beaucoup plus élevé que la littérature allemande. Les poètes et les romanciers ont surtout les honneurs de la vente ; ainsi on compte pour Byron, en quinze ans, sept éditions anglaises des œuvres complètes faites à Paris, et dix éditions françaises de ces mêmes œuvres.. Milton, traduit par M. de Pongerville, a été réimprimé quatre fois en six ans ; enfin la collection des meilleurs ouvrages de la littérature britannique, publiée par le libraire Baudry, ne compte pas moins de 425 volumes. A de rares exceptions près, tous les écrivains remarquables de l’Europe sont aujourd’hui naturalisés chez nous. Il y a trente ans à peine, on nous reprochait avec raison le dédain mêlé d’impertinence que nous professions pour tout ce qui n’avait point germé sur notre sol : on pourrait aujourd’hui nous adresser un reproche tout-à-fait contraire, celui de sacrifier injustement par des admirations irréfléchies nos gloires les plus radieuses aux gloires étrangères. Quoi qu’il en soit, ces relations bienveillantes avec nos voisins ont porté leurs fruits. L’étude comparée des littératures a mis en circulation une foule d’idées nouvelles. L’étude comparée des langues a élevé la syntaxe à la hauteur d’une science philosophique. L’ethnographie, c’est-à-dire l’histoire des races de la grande famille humaine, est née de ces explorations, et les échanges internationaux