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des derniers temps et celle des antéchrists littéraires représentés par les chefs de la nouvelle école. Quatre ou cinq ans plus tard, les choses vont vite en France, toutes ces rumeurs s’étaient calmées. Les partisans de l’ancien régime s’étaient, en bien des points, ralliés aux révolutionnaires. Ceux-ci, de leur côté, avaient allégé le vaisseau qui portait leur fortune des exagérations qui pouvaient le faire sombrer. L’ordre succédait à l’anarchie, et les chefs des terroristes, convertis à une liberté sage et presque constitutionnelle, venaient s’asseoir fraternellement sur le fauteuil académique à côté de leurs anciens rivaux, dont le bulletin pacifique leur avait ouvert les portes du temple. Aujourd’hui la poésie, comme la politique, semble avoir pris pour devise ce mot de ralliement, Liberté, ordre public. C’est qu’au sein même de cette anarchie, le bon sens, cet être abstrait et collectif, qu’on trouve toujours dans la masse Lorsqu’il n’est plus dans les individus, le bon sens et le bon goût accomplissaient leur éternel travail d’épuration et séparaient l’ivraie et le bon grain. Sagement éclectique aujourd’hui, l’admiration reste supérieure aux querelles d’écoles ; les classiques eux-mêmes, après avoir fait quelques pas en avant, reconnaissent que les hérésies sont quelquefois nécessaires en poésie comme en religion, et qu’en dernière analyse les romantiques ont rendu un véritable service en réveillant l’ardeur littéraire par l’attaque, en rajeunissant la vérité par le paradoxe. Les systèmes ont fait leur temps ; les beaux vers seuls sont restés.

Le caractère des poètes, comme la poétique elle-même, a subi bien des variations. Dans les années qui précédèrent la révolution de juillet, la mélancolie et le doute convulsif de Byron étaient à l’ordre du jour. Après 1830, la mélancolie fut remplacée par l’ambition. Les poètes, devenus humanitaires, affichèrent la prétention de gouverner le monde. Ils avaient, disaient-ils, une mission d’en haut et se comparaient avec une fatuité naïve à la colonne lumineuse qui guidait les Israélites à travers le désert. Après avoir prêché leur siècle, ils l’insultèrent et le maudirent sous prétexte qu’il était rebelle à leurs avis et sourd à leur voix. La société à laquelle ils demandaient des couronnes, de la gloire et de l’or, les femmes auxquelles ils demandaient des sourires et de la passion, ne leur répondant le plus souvent que par l’oubli, quelques-uns d’entre eux échappèrent par le suicide aux souffrances de la vanité déçue. D’autres tombèrent, comme Gilbert, assassinés par la misère. Il y eut là, pendant quatre ou cinq ans, une crise violente, sans antécédens dans notre histoire littéraire, une période qu’on peut appeler la période des génies méconnus. Vers 1838, une réaction très vive s’opéra. Soudainement illuminés par la grace, les poètes se mirent à chanter la foi. Don Juan se fit ermite ; le barde, au lieu de pincer sa harpe, égrèna son chapelet ; mais bientôt la mode changea de nouveau. Les jeunes muses, après avoir serré, comme le serviteur de Tartufe, haires, cilices et disciplines, se mirent à courir le monde, à chanter sinon l’amour, qui semble pour le moment passé de mode, du moins les galanteries faciles, les soupers friands, les beaux yeux, les fêtes et les fleurs. Ainsi, pour résumer la situation, on peut compter cinq ou six révolutions en moins de vingt-cinq ans. En 1825, on était mélancolique et byronien, en 1830 humanitaire et ambitieux de régenter le monde. Vers 1834, on chantait le désespoir et la mort, en 1838 les vieilles croyances ; en 1844, on oubliait le désespoir, la mort et la foi pour célébrer toutes les séductions de la vie ; enfin, en 4847, de démocratiques et de romantiques