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qu’elles étaient dix ou douze ans auparavant, les muses, devenues classiques et aristocrates, nous donnaient, avec l’école plastique, l’école de la ciselure et du contour, l’école du roué grand seigneur.


III.

De la poésie qui parle le langage des dieux au roman qui, de nos jours, a quelquefois parlé l’argot, la langue des voleurs, la transition est brusque sans doute, mais nous en laissons la responsabilité aux bibliographes, que nous suivons toujours comme nos guides.

Les romanciers, dont plusieurs sont en même temps auteurs dramatiques, après avoir essayé d’être poètes, forment un groupe d’une centaine d’écrivains parmi lesquels quinze femmes environ. La moyenne des publications nouvelles est de 210 par année. L’année la plus féconde, dans la période qui nous occupe, a été 1833, qui donne 284 ouvrages ; l’année la moins féconde, 1841, qui n’en donne que 185. Il faut ajouter à ce chiffre la réimpression des romans français des deux derniers siècles et les romans des littératures étrangères qui forment une série fort nombreuse. L’abondance de la production dans cette branche de littérature s’explique par le genre de lecteurs auxquels elle s’adresse. Il faut chaque jour du nouveau pour réveiller la curiosité des abonnés des cabinets de lecture qui lisent avec l’intention de ne rien apprendre et la résolution bien arrêtée de ne jamais se fatiguer à penser, et l’on ne peut s’empêcher parfois de plaindre les écrivains qui se condamnent exclusivement à amuser les oisifs, population toujours nombreuse en France, surtout à Paris, où bien des gens, assez à l’aise pour ne rien faire, mais trop peu riches pour prendre leur part des plaisirs dispendieux, n’ont d’autre remède contre l’ennui que la promenade et les romans, quels qu’ils soient.

Les anciens romans sont imprimés chaque année au nombre d’une vingtaine de volumes environ. Lesage, l’abbé Prévost, Florian, Voltaire, Ducray-Dumesnil et Marmontel ont toujours une grande vogue ; mais la plus constante popularité appartient aux Incas, qui trouvent encore des lecteurs empressés dans les campagnes et parmi les commerçans, les humbles rentiers des petites villes, où les colporteurs les propagent en compagnie des Quatre fils Aymon, que l’illustration au rabais a métamorphosés en hussards. Quant aux ouvrages étrangers, ils tiennent ici une place beaucoup plus grande que dans les autres branches de la librairie, et ils forment environ le tiers de la production totale. Hoffmann, Cervantès, Fielding, Sterne, Richardson, sont toujours lus, vendus à grand nombre, et parmi les romanciers modernes Walter Scott, Cooper, Bulwer, le capitaine Marryat, Dickens, ont obtenu un succès qui tient vraiment du prodige. Nous trouvons depuis 1831 pour Cooper, œuvres complètes et ouvrages séparés, 31 éditions anglaises, 42 éditions françaises, 5 éditions espagnoles et 2 éditions portugaises ; pour Bulwer, 59 éditions anglaises ou françaises. Quant à Walter Scott, on ne compte plus.

La traduction des romans étrangers est devenue pour quelques hommes une spécialité qui les a absorbés tout entiers ; nous citerons entre autres Defauconpret, mort en 1843, et qui a traduit pour sa part près de 800 volumes. Sur ce marché du roman, c’est l’Angleterre qui tient encore la première place comme