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ils ont exagéré tous ses défauts, et ne l’ont égalé que dans les longueurs du détail parasite ou des conversations interminables. Quelques livres seulement, entre autres Notre-Dame de Paris, la Chronique de Charles IX et Cinq-Mars, ont pris rang parmi les œuvres durables.

A côté du roman historique imité de Walter Scott, nous trouvons le roman maritime, également imité de la littérature anglaise ; le roman républicain, né en 1831 et mort en 1835 ; le roman breton, ordinairement descriptif, religieux et légitimiste ; le roman philanthrope, le roman cynique, le roman catholique, renouvelé de Pierre Camus, évêque de Belley ; le roman anti-catholique, dans lequel les jésuites jouent le même rôle que le diable dans les anciens mystères ; le roman grivois, le roman militaire, le roman communiste, le roman conjugal, qui peint, selon qu’il émane d’une plume féminine ou masculine, tantôt une femme,victime de son mari, tantôt un mari victime de sa femme. Intéresser, comme la comédie, par le tableau fidèle et animé de la vie humaine ; peindre les hommes tels qu’ils sont, également capables de mal et de bien, de faiblesse et de grandeur, montrer la volonté en lutte contre la passion, fortifier l’ame par le spectacle de cette lutte, tel est le but que se sont efforcés d’atteindre tous les maîtres du genre. Les romanciers contemporains ont-ils marché dans cette voie ? Loin de là ; ils ont remplacé l’étude des caractères par l’étude des vices, et l’homme, considéré comme type général, par des types individuels pris dans des classes particulières. Ils sont descendus pour chercher les personnages qu’ils mettent en scène jusqu’aux derniers degrés de l’échelle sociale ; ils ont commencé par les classes compromises pour arriver aux classes déchues, et enfin aux classes dangereuses. Parmi les romans qui traitent des classes compromises, nous noterons ceux qui ont pour but de peindre tes mœurs galantes des femmes de théâtre. Plus on s’enfonce dans la fange, plus les livres de ce genre se multiplient, et l’on pourrait se former une bibliothèque avec les études qui ont été faites sur les almés de bas étage qu’on affuble du nom transparent d’oiseaux de nuit ou de filles d’Hérodiade, et dont on donne l’adresse et le tarif. Ce n’est pas certes l’esprit ni la verve qui manquent à quelques-unes de ces compositions, ce n’est pas non plus la fidélité des tableaux ; mais, au lieu de montrer tout ce qu’il y a de triste et d’amer dans ces existences flétries par le désordre, le desséchement profond du cœur qui arrive toujours fatalement comme une expiation du vice ; au lieu de montrer à la femme tombée la réhabilitation par le travail, par le dévouement, le désintéressement de l’amour, on idéalise de malheureuses créatures que se disputent l’hospice, la prison, les amphithéâtres de Clamart. On jette une gaze dorée sur leurs haillons ; on donne à celles qui sont déchues des argumens pour justifier leur chute ; on crée dans les ateliers des Rigolette et des Fleur-de-Marie, comme des romans d’un autre genre ont créé dans des classes plus élevées la femme incomprise et inmariable.

Quand on arrive aux classes dangereuses, les romanciers semblent redoubler d’efforts et d’imagination pour appeler sur elles la curiosité. On a commencé par étudier le sacripant, le tapageur, le viveur ; mais ceux-là, comme les truands du moyen-âge, leurs aïeux directs, n’avaient de démêlés qu’avec le guet. C’était trop peu pour le roman ; il voulut se poétiser par le bagne et le bourreau ; il mit en scène les escrocs, les recéleurs, les voleurs, les assassins, tous ces êtres avilis qui devaient au théâtre s’incarner dans Robert Macaire et Vautrin.