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À ce livre succédèrent les Cent et une Nouvelles nouvelles des Cent et un. On en arriva bientôt au Salmigondis et à lia bel, et, quand cette veine fut épuisée, on inventa des bizarreries nouvelles, des livres pour lesquels on ne peut trouver aucune définition dans les divers genres de littérature, et dont les sujets même sont tellement insaisissables, que les auteurs ont été obligés de créer pour eux des titres de fantaisie. Le Salmigondis fut remplacé par un Autre Monde et le Voyage où il vous plaira. Les dames, qui d’abord avaient fourni aux œuvres masculines leur contingent de collaboration, ne tardèrent point à former dans cette république, si anarchique déjà, une république indépendante. Des femmes de lettres et des femmes du monde, la distinction est bonne à noter, s’associèrent pour rédiger des livres roses et des albums de salon. C’est là que le bas bleu réformateur, né du romantisme et du saint-simonisme, vint apporter sa pierre à l’édifice social, en déclarant que « la mission de la femme n’est point de faire danser des mots dans le bal de son imagination ou d’écrire comme on brode, » mais de travailler à l’éducation de l’humanité par l’enseignement du cœur. On sait comment quelques femmes ont compris cette éducation et pratiqué cet enseignement.

Habiles à chercher et à trouver des lecteurs dans toutes les classes et dans tous les âges, les éditeurs de romans ne pouvaient manquer, après avoir exploité la curiosité des hommes, de s’adresser à celle des enfans, et de se créer de nouveaux profits par une littérature de sevrage. Les petits livres, contes ou romans, destinés à l’éducation morale et à l’amusement du premier âge et de l’adolescence, s’élèvent au nombre de deux cents environ par année, et c’est là une des branches les plus inaperçues et en même temps les plus productives de la librairie. Les romans et les contes enfantins ne sont plus concentrés aujourd’hui entre les mains de quelques personnes qui s’occupent exclusivement, comme l’ont fait Mme Leprince de Beaumont, Berquin et Pierre Blanchard, de former le cœur et l’esprit des jeunes lecteurs. La plupart des femmes de lettres, ainsi que nos romanciers en renom, les vaudevillistes et même les écrivains de la grande et de la petite presse, s’exercent volontiers dans ce genre. Nous avons, pour faire pendant aux Mémoires du Diable, les Mémoires de Croquemitaine, et, comme préface aux romans de mœurs fashionables, la Poupée bien élevée. MM. de Balzac, Janin, Gozlan, Dumas, n’ont pas dédaigné d’écrire pour le premier âge, et l’auteur de Monte-Christo nous a donné l’Histoire d’un Casse-noisette. La librairie a spéculé sur les enfans de la même façon que dans d’autres branches elle spécule sur les hommes. Le Keepsake enfantin a pris la place des Veillées du château. L’illustration a tout envahi ; la gravure a débordé le texte. La Morale en images s’est substituée à la Morale en action. Dans les maisons d’éducation dites religieuses, on a fait concurrence aux écrivains laïques. Les aumôniers des couvens de femmes, les correspondans de l’Univers et de l’Ami de la Religion ont pris la plume, ce qui nous a valu une foule d’historiettes éditées sous la garantie des censures épiscopales. On a même admis dans ces petites bibliothèques catholiques des écrivains qu’on eût proscrits sans pitié il y a quelques années encore. On a commencé par expurger Walter Scott, en retranchant des intrigues d’amour tout ce qu’on pouvait en enlever sans nuire à l’intérêt dut roman. De Walter Scott, on est passé à Gil Blas, ce qui devenait plus scabreux ; enfin, après avoir expurgé les anglicans et