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sans conteste ; l’auteur de la Gastronomie, Berchoux, osa seul protester contre elle dans ce vers tant de fois cité :

Qui nous délivrera des Grecs et des Romains ?


Les Grecs et les Romains cependant avaient acquis droit de bourgeoisie sur notre théâtre ; ils y régnèrent comme les dieux de l’Olympe régnaient dans la poésie jusqu’au moment où la guerre du romantisme vint menacer leur antique royauté. La réaction, d’abord fort obscure, ne s’attaqua qu’aux trois unités, et c’est dans une comédie-vaudeville, jouée en 1825, Julien ou vingt-cinq ans d’entr’acte, qu’Aristote fut pour la première fois méconnu sur le théâtre contemporain. Un mélodrame célèbre, Trente ans de la vie d’un joueur, fixa plus vivement l’attention ; cependant jusque-là aucune théorie ne s’était produite, et les novateurs, en se tenant à des œuvres vulgaires, n’obtenaient d’autre résultat, le seul qu’ils ambitionnassent d’ailleurs, que d’amuser le public des boulevards. En 1829, M. Hugo, dans la préface de Cromwell, donna le signal d’une révolution complète et proclama l’avènement d’un nouveau poème dramatique, désigné depuis sous le nom de drame moderne, qui remonte tout à la fois à Shakespeare, à Goethe, à Lope de Vega, et dans lequel le laid et le beau, le grotesque et le sublime, l’observation et la fantaisie, le rire et les larmes devaient se mêler comme ils se mêlent dans ce monde, et donner une exacte représentation de la vie humaine avec tous ses accidens et ses contrastes. M. Hugo fut contredit avec violence, défendu, applaudi avec enthousiasme ; le coup était porté, le grand poète avait fait école ; il avait allumé la plus ardente des querelles qui depuis trente ans aient éclaté dans la littérature française[1]. Cette guerre du drame et de la tragédie offrit cela de particulier que dans le monde des écrivains, comme dans le public, elle ne laissa personne indifférent. Depuis la guerre des gluckistes et des piccinistes, on n’avait point vu, dans le monde littéraire, de querelle aussi ardente. Les esprits les plus froids eux-mêmes y prirent une part plus ou moins directe, et l’immense majorité se rangea du côté des novateurs. Le romantisme dramatique fut déclaré l’art de présenter aux peuples des ouvres susceptibles de leur donner, dans l’état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, le plus grand plaisir possible, tandis que « le classicisme ne leur présente que des ouvres qui donnaient le plus grand plaisir possible à leurs grands-pères. » Les pamphlets et les brochures se croisèrent comme les sifflets et les bravos, et, parmi les opinions qui se manifestèrent alors, il en est qui ont pris par la distance même des temps un intérêt nouveau. Nous rappellerons entre autres ce jugement de M. Guizot, qui, au milieu de ce terrorisme littéraire, s’était rallié aux Girondins. « Avancez sans règle dans le système romantique, vous ferez des mélodrames propres à émouvoir en passant la multitude seule, et seulement pour quelques jours, comme, en vous traînant sans originalité

  1. Voici quatre vers d’un couplet qui se retrouvent dans un vaudeville du temps :

    Le vieux Boileau rabache,
    Corneille est un barbon,
    Voltaire une ganache,
    Racine un polisson.

    Cette dernière épithète fut adoptée par les enfans perdus de la nouvelle école.