Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/703

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

injuste de constituer des majorats en leur faveur, et de leur accorder, comme en 1838, neuf cent trente mille francs de secours sur les douze cent vingt mille dont l’état disposait alors.

A quelque système dramatique qu’on appartienne, on pardonne à la tragédie classique d’être trop souvent emphatiquement fastidieuse, parce qu’elle a du moins des instincts et des prétentions littéraires ; on pardonne à la comédie de grimacer sans gaieté, parce qu’elle s’efforce d’instruire ; on pardonne au vaudeville ses joyeusetés bouffonnes, parce qu’il est sans ambition et sans conséquence ; à l’opéra ses bergers, ses berbères, ses éternels baillis qui datent de Sedaine, ses ermites et ses niais, parce que l’opéra-comique, ainsi que l’a dit M. Janin, est une bonne petite commère joyeuse et sans prétention, qui aime le chant facile et la gaieté décente ; mais peut-on pardonner également au drame quand on le considère au double point de vue de la littérature et de la morale publique ?

Né, comme nous l’avons dit, de la révolution romantique, ou plutôt ressuscité, modifié, agrandi par elle, le drame à son début annonça les intentions les plus louables. Il voulait, disait-il, créer un idéal qui fût en rapport avec l’état actuel de la société, élargir les horizons de l’art, faire un miroir fidèle de la réalité humaine et donner en France, — c’était là une noble ambition, — des frères au grand Corneille, des rivaux à Shakespeare. Ses premiers essais furent éclatans. On put croire qu’une révolution heureuse s’était accomplie ; mais le but fut vite dépassé. Les novateurs, exagérant sans cesse leurs propres exagérations et celles des écrivains qui combattaient sous la même bannière, en arrivèrent bientôt à changer les conditions de l’art ou plutôt à les nier complètement, et de la sorte ils brisèrent une excellente innovation par l’abus même qu’ils en firent.

La biographie du drame, aussi multiple, aussi variée que celle du roman, est moins édifiante encore. D’un côté comme de l’autre, c’est la même prétention de toucher à tout, à l’histoire, à la politique, au socialisme ; c’est la même exagération, le même cynisme, le même mépris de l’étude patiente, le même abus du terrible et souvent de l’odieux, le même emportement, le même désordre dans la production.

Le drame touche-t-il à l’histoire ? c’est en général pour montrer qu’il l’ignore ; c’est pour flétrir les vieilles croyances, les vieilles mœurs, les vieux rois dont la mémoire a bien aussi quelques droits à nos respects ; c’est pour prendre de préférence ses héros, comme le roman, parmi les types dégradés ou les classes maudites, les truands, les ribauds, les filles sans nom. A partir de Charles VI, il parcourt à bride abattue toutes nos annales, épuisant chaque époque en quelques mois. Charles IX et ses crimes, Richelieu et ses vengeances, Mazarin et ses intrigues, Louis XIV et ses galanteries suffisent à peine à la consommation d’une année. En 1831 et 1832, le drame, devenu républicain, exploite Marat, Saint-Just, Robespierre, Fouquier-Tinville. On est bientôt à bout de sujets. Le drame devient napoléoniste ; la foule se porte aux représentations de Napoléon Bonaparte ou Trente ans de l’histoire de France, drame en six actes et vingt tableaux dont la représentation durait six grandes heures, et, comme tous les succès à la scène ou dans le roman éveillent la concurrence des spéculateurs, les dramaturges, les faiseurs de suites et de contre-parties se mirent à tailler des épisodes