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dans la vie du grand homme, et le présentèrent tour à tour au public soldat, général, empereur et prisonnier de l’Angleterre.

Quand il eut pressuré nos annales pour en tirer tout ce qu’elles pouvaient donner, le drame se fit biblique, sans être pour cela plus moral, car il évoqua sur les planches tous les princes compromis, tous les grands séducteurs de la tradition orientale, le roi David dans sa période galante, Hérode, Balthasar et Nabuchodonosor. Tandis qu’il fouillait l’histoire pour la défigurer, il compulsait en même temps les causes célèbres, et nous montrait à côté des rois et de leurs maîtresses les empoisonneurs, les assassins et les voleurs. Les empoisonneurs surtout ont attiré son attention, car il est parti de la Brinvilliers en s’arrêtant à la Lescombat, à la Voisin, pour arriver à la Dame de Saint-Tropez.

On sait par quelle mise en scène, par quels personnages le drame a cherché à relever l’intérêt qui manquait souvent à ses productions échevelées. C’est le bourreau, personnage aussi indispensable dans le drame que le confident dans la tragédie classique ; c’est le spadassin renouvelé du matamore de la comédie espagnole ; c’est la courtisane, ornement de toutes les fêtes, instrument de toutes les conspirations et de toutes les intrigues. La scène de l’orgie et la scène du duel forment dans la plupart des pièces un épisode inévitable. On y ajoute aussi quelquefois une scène de tribunal, un incendie, une procession, un enterrement, une scène de torture ou une potence. C’est ainsi que lors de la première représentation du marquis de Favras, quelques instans avant que la toile tombât, on dressa un gibet sur le théâtre ; mais en ce moment des cris tumultueux s’élevèrent de tous les coins de la salle : Otez l’échafaud, ôtez l’échafaud. « L’administration, qui tenait à sa potence, dit M. Janin à qui nous empruntons cette anecdote, ne comprenait pas ce qu’on lui demandait. Alors on a crié de nouveau, et force a été d’enlever le poteau et l’échelle. Ainsi, ajoute M. Janin, l’art dramatique aura dû au parterre de la Gaieté le dernier mot de sa poétique. Otez l’échafaud, c’est le seul mot consolant que nous ayons entendu au théâtre depuis six mois. » Ceci se passait en 1831, c’est-à-dire dans l’année qui représenta le plus complètement le terrorisme dramatique et le 93 de l’art contemporain. Les choses durant cette période furent poussées à tel point, que le gouvernement anglais, qui se montre en fait de liberté théâtrale d’une indulgence souveraine, fit défendre à un acteur célèbre, en tournée à Londres, de représenter la Tour de Nesle, sous prétexte que la France, nation alliée de l’Angleterre, était outragée dans cette pièce, comme l’Angleterre elle-même était outragée dans Richard d’Arlington, qui fut défendu par le même motif. Cette interdiction est d’autant plus remarquable, qu’à la même époque le même gouvernement laissait jouer à Dublin l’Irlandais chez lui, pièce dans laquelle on criait à tue-tête : Guerre et mort aux Anglais ! il est vrai qu’en Angleterre la censure, quand par hasard il y a censure, s’occupe beaucoup plus de surveiller la morale que la politique. C’est le contraire en France.

En faisant paraître à tout propos des bourreaux, des spadassins et des courtisanes, le drame abusait sans doute des libertés de l’art, mais enfin il était encore dans son droit. En mettant les vivans en scène, il a méconnu toutes les convenances, et, comme il avait pris l’habitude de tout méconnaître, il ne pouvait se refuser ce dernier scandale. Dans une pièce jouée en 1830, on vit un prélat travesti sur la scène en incendiaire, ce qui fit dire à un écrivain catholique,