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verra, et les faits trop peu connus sont précis, que certaines compositions scéniques et le goût effréné des classes ouvrières pour ces sortes de compositions doivent être placés au premier rang des causes de leur démoralisation, et que ce nom de boulevard du crime a plus de portée et de justesse qu’on ne le croirait. Ne peut-on pas dire de ces drames ce que Tertullien disait des spectacles romains : Tragædiæ… scelerum et libidinum actrices, cruentæx et lascivæ ?

Pécheur endurci comme le roman, le drame, on le voit, a besoin pour se réhabiliter de faire amende honorable à l’art théâtral et à la morale publique ; mais il est juste de reconnaître que, dans ces derniers temps, il s’est opéré une réaction sensible contre les excès que nous avons signalés. Personne aujourd’hui ne conteste les conquêtes légitimes de la nouvelle école dramatique, mais chacun est unanime à blâmer ses écarts. Ici encore nous entrons dans cette période de calme et de conciliation qui, depuis quinze ans, a succédé à toutes les crises violentes.


V.

Depuis la théologie, qui nous reporte au plus profond du moyen-âge, jusqu’au journalisme, écho de tous les bruits de la société moderne, jusqu’au théâtre, miroir souvent trop fidèle de ses vices, nous avons vu, dans le tableau de la production littéraire ou scientifique de ces quinze dernières années, des horizons bien divers se dérouler devant nous. Essayons maintenant de résumer en peu de mots l’impression que nous a laissée cette étude, trop longue peut-être, mais bien incomplète encore, et notons d’abord pour chacune des grandes divisions bibliographiques le progrès ou la décadence.

Dans les sciences purement spéculatives, la théologie peut être comptée parmi les morts. Après quelques efforts pour se rallier à la science, elle s’en est brusquement séparée et s’est recouchée dans la tombe dont M. de Lamennais avait un instant soulevé la pierre. Les théologiens, qui avaient essayé de secouer leur léthargie intellectuelle et de se replacer sur le terrain des hautes discussions, ont reculé comme effrayés de leur audace, et aujourd’hui ils ne vivent que par le passé, s’adressant, pour se faire écouter, au sentiment plutôt qu’à la raison, remontant au-delà de Bossuet et de Fénelon jusqu’aux mystiques du moyen-âge et se rattachant dans le présent aux exagérations romantiques et humanitaires plutôt qu’à la cause du véritable progrès. Les laïques, en faisant brusquement et sans études préalables irruption dans la littérature religieuse, n’y ont introduit souvent que des passions politiques, des ambitions littéraires et une intolérance qui n’a point toujours sa source dans la foi. En voulant étayer les croyances, ils n’ont fait que les compromettre, et la plupart, loin d’atteindre à l’inspiration catholique, ne sont pas même dans le catholicisme.

La philosophie, quel que soit son drapeau, n’a compté depuis quinze ans aucun nouveau triomphe. Progressive sous le rapport de la critique historique, elle est demeurée complètement stationnaire au point de vue dogmatique. L’école socialiste ou révolutionnaire n’a enregistré que des échecs, et ses maîtres sont à peu près restés sans disciples. L’éclectisme n’est guère sorti de l’université. L’école catholique à son tour est restée au-dessous de son passé. Le principal travail qui semble de notre temps imposé à la philosophie, c’est de donner aux autres branches