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à la morale ; elle s’est faite tout à la fois analytique et dogmatique, et s’est montrée philosophique, sans cesser d’être claire, bienveillante, sans cesser d’être juste, indépendante, tout en restant polie.

L’histoire, soumise dans ses diverses branches à une révision sévère, s’est débarrassée, comme les sciences positives, des hypothèses et des systèmes préconçus. Elle s’est tout à la fois généralisée et spécialisée, et, en s’efforçant de se constituer comme un enseignement moral et comme un enseignement politique, elle est devenue plus tolérante et plus compréhensive. Également éloignée des avis extrêmes et des systèmes exclusifs, parce qu’elle s’est éclairée beaucoup mieux qu’elle ne l’avait fait jusqu’alors de l’étude des textes, elle sait juger aujourd’hui avec une indulgence intelligente les fautes de nos aïeux, elle sait, dans notre passé religieux, faire la part du christianisme et la part des hommes ; dans notre passé politique, faire la part des peuples et la part des rois ; enfin, tout en cherchant l’exactitude des faits, elle songe à la correction de la forme, qui est devenue pour elle une des conditions du succès.

La presse, exclusivement politique et littéraire sous la restauration, est aujourd’hui scientifique, industrielle, agricole, administrative, et, si d’une part on peut lui reprocher d’avoir donné accès à des futilités, il est juste de reconnaître aussi que, par son caractère de plus en plus encyclopédique, elle tend à populariser chaque jour davantage les connaissances positives.

Faut-il résumer maintenant, après ces appréciations partielles, l’impression générale que produisent l’étude et le spectacle du mouvement intellectuel de notre époque ? Nous croyons ne pouvoir mieux faire, en ce qui touche notre impression personnelle, que de répéter ici ce que nous avons dit au début de ce travail c’est tout à la fois la création et le chaos. Un pied dans le moyen-âge et l’autre sur le seuil d’un avenir inconnu, emportée d’un côté par l’irrésistible mouvement de la révolution française et de la science, et de l’autre attardée par la tradition ; sceptique, mais tourmentée par des aspirations religieuses ; positive et profondément sensuelle, mais accessible encore aux rêves de l’idéal ; avide de nouveautés, d’émotions, mais plus avide encore de calme et de paix ; également éloignée des grandes vertus et des grands vices ; un peu artificielle en tout, même dans ses passions ; arrangeant les drames de la vie, comme ceux du théâtre, avec l’esprit plutôt qu’avec le cœur ; jalouse de l’égalité politique, et cependant respectueuse jusqu’à l’humilité envers tous les préjugés de naissance, de fortune et de position officielle ; démocrate quand il s’agit de ceux qui sont au-dessus, et trop souvent aristocratique quand il s’agit de ceux qui sont au-dessous ; tournée au bien-être, à la science, à la politique, plutôt qu’aux œuvres d’imagination ; morcelée en mille groupes distincts qui forment comme autant de systèmes sociaux et qui s’ignorent les uns les autres, tout en se touchant ; tolérante et, malgré l’égoïsme individuel, animée et soutenue par un grand souffle de charité ; gardant, au milieu de la corruption inséparable d’une civilisation avancée, le sentiment élevé du juste et du bien ; prompte à se laisser séduire, et toujours prompte à se récrier contre elle-même, telle est, nous le pensons, la société qui s’agite autour de nous, tel est aussi le mouvement intellectuel dont nous avons tenté dans ces pages de retracer le tableau.


CHARLES LOUANDRE.