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d’épreuve, leur Satz, composé dans des formes toujours les mêmes ; espèce de tryptique en vers, dont chaque compartiment était tracé d’avance, et emprisonnait la fantaisie du poète. Quant aux auteurs de mystères carnavalesques (Fastnacht’s Spiel), ils écrivaient aussi dans des conditions où le véritable humoriste ne s’est jamais trouvé. Ni Hans Foltz le barbier, ni Hans Rosenblutt l’enlumineur, ni le cordonnier Hans Sachs, ne pouvaient donner carrière, sur les tréteaux de Nuremberg, à cette intime liberté de pensée dont le spectateur illettré n’aurait compris ni les brusqueries, ni l’apparente incohérence, ni les éclairs passagers. Cependant, puisque j’ai nommé Hans Sachs, il faut bien revenir sur une sentence trop absolue, et reconnaître que, s’il y a dans toute l’ancienne littérature allemande quelques étincelles d’humour, elles sont éparses dans les Schwänke, ou fabliaux, au nombre de mille sept, dont il a rempli en partie les trente volumes écrits de sa main.

En Italie, peu ou point d’humoristes. Est-ce un humoriste que l’élégant et pédant Boccace ? ou Poggio Bracciolini, le résurrecteur de la belle latinité ? ou ce moqueur d’Arioste ? ou cet insolent Arétin ? L’âpre satire que Machiavel lança contre les frati, cette Mandragola qui fut jouée devant un pape et qui plus tard eût été brûlée au pied du Vatican, est-ce de l’humour ? Quand Pulci, dans son Morgante Maggiore, se moque des poètes malavisés qui mêlaient à leurs absurdes légendes des dissertations théologiques plus absurdes encore ; quand, sous prétexte de railler l’abus des textes religieux, il s’en prend quelque peu à la religion elle-même, fait-il œuvre d’humoriste ou de sceptique désabusé ? Il réagit, comme Cervantès, par la parodie, contre une influence passagère ; il proteste, au nom du bon sens, contre les excès d’une littérature conventionnelle. C’est un homme de goût, un critique spirituel, un censeur délicat, tout ce qu’il y a de moins humoriste au monde. Gozzi ne l’est pas davantage : lisez plutôt ses charmans Mémoires. Ceux de Casanova prouvent de reste que l’humour, dérèglement d’imagination, n’a rien de commun avec le libertinage sensuel.

Je ne contesterais pas volontiers à l’Espagne ce qu’il y a de véritablement humoristique dans son génie national. Les naïvetés du Romancero, quelques détails de gueuserie dans les romans et nouvelles picaresques, quelques-unes de ces rodomontades dont on faisait jadis collection, ou des proverbes tant aimés de Sancho Pança, portent assez ce caractère particulier, cette empreinte individuelle dont nous cherchons les traces de tous côtés. On les retrouve aussi chez nous, et dans les Cent Nouvelles d’Anthoine de Lasalle, et dans Rabelais, bien que sa plaisanterie tumultueuse, le bruit des grelots qu’il agite pour étourdir son monde, soient précisément le contraire de cette épigramme discrète, dérobée, tranquille et pour ainsi dire en sourdine, qui est le trait le plus distinct de l’humour anglaise. Par accident, on remarquera quelques traces