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ne va guère sans un fonds de tendresse cachée, toujours près de se faire jour. « Ce n’est pas le mépris, a-t-on dit avec raison[1], c’est l’amour d’où elle procède le plus volontiers… Elle rit moins qu’elle ne sourit ; et ses tranquilles sourires ont leur source bien plus avant que ceux de l’ironie pure. »

Ne nous étonnons donc pas de ce contraste déjà remarqué, de cet amalgame qui est, en quelque sorte, une loi naturelle ; déplorons seulement l’erreur du vulgaire, qui ne sait pas concilier des impressions contradictoires et discerner, derrière tel ou tel masque bizarre, un penseur convaincu et sérieux, dont le hasard, l’éducation, les circonstances, la modestie peut-être, et peut-être la dure nécessité, ont fait un amuseur public, un rimeur de folies, un clown hasardeux, exécutant ses tours de souplesse sur l’élastique tremplin de la strophe sonore.

Hood a eu cependant, — et nous l’avons déjà dit[2], — l’honneur, très difficile pour lui, d’être pris au sérieux ; mais il l’a eu trop tard pour échapper complètement aux conséquences de ce joyeux anathème que la foule ne manque jamais de lancer contre la gaieté de l’esprit, trop souvent confondue avec la frivolité morale ; — il l’a eu vers la fin de sa carrière, lorsqu’un jour, dans une feuille satirique de Londres[3], parut cette Chanson de la Chemise qui fit tressaillir et pleurer le même jour tout un peuple. Ce court poème, — Béranger a des odes plus longues, — venait après bien des déclamations pathétiques sur le sort des classes laborieuses, après bien des pétitions au parlement, bien des pamphlets chartistes, bien des malédictions, prose ou vers, lancées contre la sévère domination de l’opulence par quelques-unes des victimes que broie en passant le char doré du Mammon britannique ; mais ces idées, rebattues et triviales, n’attendaient, pour redevenir jeunes et fécondes, qu’une formule énergique, une occasion favorable. Semblables aux gaz répandus dans l’atmosphère souterraine des mines, elles flottaient çà et là, brumes invisibles, foudres cachées, qu’une étincelle, un jet de flamme suffirait pour faire éclater : elles reçurent de flood cet ébranlement qui, dans d’autres temps, eût été formidable, et n’a eu, de nos jours, que la valeur d’un symptôme inquiétant.

Une jeune femme, vêtue de pauvres haillons, est au travail dans une chambre nue, glaciale, aux murs blanchis, au toit crevassé. Seule, silencieuse, le cœur gonflé de pensées amères, les freux rougis par des larmes qu’elle retient et qui parfois s’échappent, elle est là, depuis le matin ; la nuit va venir, et la tâche du jour, — il s’en faut bien, — n’est pas accomplie. C’est alors que sa voix douloureuse s’élève

  1. Dans un article sur la Vie de Jean-Paul Frédéric Richter, de Heinrich Doering. Edinburgh Review, année 1827, vol. XLVI.
  2. En parlant de la Comédie en Angleterre, dans la Revue du 15 décembre 1846.
  3. Le Punch, journal illustré.