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minutieuses avec le courage et la patience d’un bénédictin. Ces recherches le mirent en présence de papiers relatifs à la révolte de Pougatcheff, ce hardi Cosaque qu’on vit au milieu du règne de Catherine II se donner fièrement pour Pierre III, échappé aux cachots de Schlusselbourg, et soumettre la Russie orientale, qu’il parcourut à la tête d’une armée résolue. Ce sombre épisode de l’histoire moscovite, cette sauvage et cruelle lutte d’un chef de révoltés, qui parvint à jeter un instant l’inquiétude jusque dans le cœur de la grande impératrice, frappa l’imagination de Pouchkine, qui, suspendant tout autre travail, résolut d’écrire l’histoire de Pougatcheff. Avant tout, il voulut connaître les lieux où se passèrent les terribles événemens qu’il allait retracer.

Pougatcheff était de la race de ces Cosaques qui, au XVe siècle, abandonnèrent les rives du Don pour aller planter leurs tentes sur celles du Jaïk, au pied des monts Ourals, où ils trouvèrent quelques familles tartares paisiblement établies. Après bien des hostilités, les Cosaques et les Tartares s’unirent d’amitié et ne formèrent bientôt qu’un seul peuple ; mais, obligés d’implorer la protection du tsar Michel Fédorovitch pour repousser l’agression d’une peuplade voisine, ils durent reconnaître sa souveraineté. Ce fut un joug qui ne tarda pas à leur devenir odieux, et ils se révoltèrent souvent. Or, l’histoire de Pougatcheff est celle de leur dernière révolte, et de la plus terrible. Pouchkine raconta cette grande jacquerie moscovite avec la vigueur que demandait une pareille tâche. Il s’appliqua surtout à faire ressortir les moindres lignes de son tableau avec ce talent de mise en scène qui s’unissait étroitement, dans son esprit, à l’intelligence du passé : il pensait que, privée des élémens qui la dramatisent, l’histoire ne saurait réveiller les sympathies de la multitude. Le même sujet qui avait porté bonheur à l’historien inspira aussi le poète. Pouchkine trouva dans la vie de son terrible héros un épisode qui lui fournit la matière d’un roman plein d’intérêt, connu sous ce titre : la Fille du Capitaine.

Ce qu’il y a de particulièrement remarquable dans toutes les compositions de Pouchkine, c’est le soin avec lequel s’y trouvent reproduits les mœurs et le génie intime de la vie russe. Le poète avait esquissé, dans Eugène Onéguine, la figure de la nania (bonne), cette femme qui, après avoir élevé une jeune fille, lui reste attachée à titre de première domestique, devient son amie, sa confidente fidèle, rôle que remplissait exactement la nourrice de l’antiquité. Il en est de même du diadka (menin), qui, après l’émancipation de son élève, devient, lui aussi, son compagnon et son serviteur zélé, rivant pour ainsi dire sa vie à la sienne, vieillissant et mourant auprès de lui. C’est un type semblable qui apparaît dès l’introduction de la Fille du Capitaine. Un diadka accompagne un jeune homme que son père, major en retraite, envoie à Orembourg, chargé d’une lettre pour le commandant de cette