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ville, son vieux camarade, lequel a promis de placer son fils. Les voyageurs sont surpris dans une forêt par un de ces ouragans appelés chasse-neige, si terribles et si dangereux dans ces froides et vastes plaines. La route a soudainement disparu sous des flots de neige. Le jeune homme et son compagnon se consultent, pleins de terreur, lorsqu’ils voient venir à eux une espèce de mendiant à l’aspect sinistre, qui leur offre de les conduire à une cabane voisine, où ils pourront attendre la fin de l’orage. Malgré les craintes du vieux diadka et même celles du cocher, le fils du major se confie à cet étrange guide, qui les conduit effectivement à une isba de bûcheron. Là, le jeune homme, pour reconnaître ce bon office, fait présent à l’inconnu d’une pelisse pour couvrir ses pauvres haillons, bienfait que celui-ci promet de n’oublier jamais. Cependant le grain s’est dissipé ; les deux voyageurs poursuivent leur route et arrivent à Orembourg. Le gouverneur de cette ville, après avoir lu la lettre de son vieil ami, les envoie à Bélagorsk, petite forteresse à quelques lieues de là, où le fils du major trouvera une lieutenance. Bélagorsk est sous le commandement d’un capitaine qui a une fille charmante, dont le nouveau-venu ne tarde pas à tomber éperduement amoureux. Sa passion est partagée, et déjà les plus doux rêves de bonheur viennent bercer son esprit, quand un Baskir se présente à la forteresse. Cet homme, auquel on a coupé la langue pour s’assurer de sa discrétion, est porteur d’une lettre de Pougatcheff, qui enjoint au capitaine de se préparer à le recevoir. Le capitaine se prépare à la défense. La place est enlevée, et les révoltés commencent par attacher le commandant au gibet : le même supplice attend toute la garnison. Quand le tour du lieutenant est arrivé, le chef qui préside à l’exécution le fait amener devant lui. « Rassure-toi, lui dit-il, tu ne mourras point. En te laissant la vie, je m’acquitte d’une promesse. Va. » Le fils du major lève les yeux sur cet étrange personnage, et reconnaît le mendiant de la forêt. C’était Pougatcheff lui-même. Le roman de Pouchkine ne se termine point par cette péripétie empruntée à l’histoire. Les circonstances se multiplient où le jeune officier est épargné par Pougatcheff, au point qu’on ne tarde pas à l’accuser d’être un de ses partisans. Le malheureux est plongé dans un cachot, d’où il ne sortirait que pour subir le supplice destiné aux criminels d’état, si la courageuse fille du capitaine n’allait se jeter aux pieds de l’impératrice, à qui elle fait connaître toute la vérité.

Cet ouvrage complète l’étude de Pouchkine sur Pougatcheff. Le romancier y a retracé, avec tout le fini des tableaux de genre, une foule de détails caractéristiques auxquels la marche rapide de l’histoire ne pouvait s’arrêter. Le simple récit de Pouchkine suffirait pour répondre à ceux qui rêveraient follement une guerre sociale en Russie. Qui sait le nombre des Pougatcheff qui surgiraient alors de tous côtés, et les fleuves