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table. Alors M. Odilon Barrot s’est frotté les yeux, et a paru s’apercevoir que depuis trois ou quatre mois on le faisait dîner avec la république. C’était s’y prendre un peu tard, car enfin rien n’était changé depuis le commencement de la campagne ; c’étaient toujours les mêmes convives ; ceux qui dînaient à Lille, c’étaient ceux qui avaient dîné au Château-Rouge ; M. Barrot aurait pu faire sa découverte plus tôt, et il se serait épargné beaucoup de déboires. La gauche constitutionnelle, après avoir servi de paravent au parti républicain pendant toute la saison, a été définitivement congédiée de la façon la plus cavalière ; c’est M. Ledru-Rollin qui est resté en possession du fauteuil. Depuis ce moment, les deux oppositions font ménage à part. On annonce encore un grand banquet à Rouen pour le mois de décembre, après quoi la politique en plein vent fera place aux discussions plus sérieuses de la législature.

Deux cruels malheurs ont privé le pays de serviteurs fidèles, et ont jeté dans le deuil deux familles honorables. M. le comte Mortier, ambassadeur à Turin, a été saisi d’une folie furieuse, et, à la suite d’un drame domestique des plus tristes et des plus affligeans, a dû être conduit dans une maison de santé. Presqu’en même temps, M. le comte Bresson, à peine arrivé à Naples, mettait fin, par la plus déplorable catastrophe, à une vie qui promettait encore de longs services. M. Bresson a laissé des regrets universels. Sous une certaine froideur extérieure, il cachait une ame active, inquiète, et quelquefois ombrageuse. En quittant l’ambassade de Madrid, il avait un moment entretenu la pensée d’aller remplir celle de Londres. Les raisons qui s’opposaient à la réalisation de ce projet étaient trop évidentes pour que nous ayons besoin de les signaler. Lors de la dernière modification du cabinet, le ministère de la marine avait été offert à M. Bresson, qui avait cru devoir le refuser, et c’est lui-même qui avait manifesté le désir d’aller remplir à Naples des fonctions où l’activité de son esprit devait cependant trouver difficilement une satisfaction. En quittant Paris, M. Bresson emportait déjà le germe de cette excessive susceptibilité d’impressions qui a eu de si cruelles suites. Le climat méridional, habituellement si bienfaisant, semblait avoir sur lui une influence tout opposée. A mesure qu’il descendait vers l’Italie, il paraissait perdre de ses forces et de sa tranquillité d’esprit ; il disait lui-même qu’il était plutôt un homme du Nord. De Rome, il se sentait attiré par un aimant invincible vers la région des affaires auxquelles il avait pris tout récemment une si grande part. A Naples, cette disposition maladive ne fit qu’augmenter ; on sait à quelle triste fin elle l’a conduit.

La retraite de M. Mortier et la mort de M. Bresson ont fait dans la carrière deux vacances autour desquelles s’agitent de nombreuses ambitions. On parle pour le poste de Naples de M. de Bacourt ; pour celui de Turin, de M. de Bussières, qui serait, dit-on, remplacé à La Have par M. de Mornay ; mais rien n’est encore officiellement décidé sur ces nominations.



THÉÂTRE FRANÇAIS


S’il est triste de voir se gaspiller et s’amoindrir des talens auxquels nous promettions, il y a dix ans, de brillantes destinées, la critique, en revanche, doit accueillir avec joie le retour d’un esprit distingué à des tentatives sérieuses, à