Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/791

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au mois de janvier de l’année suivante, assis au milieu des rochers qui dominent le port de Valparaiso, je suivais du regard, sur l’immensité de l’Océan, un brick anglais que l’on signalait comme continuant sa route au nord. Tout à coup ce navire, ayant cargué ses basses voiles à la hauteur de la rade, s’approcha de la côte et mit son canot à la mer. Avide de nouvelles, je descendis vers le môle, où déjà un assez grand nombre d’oisifs s’étaient rassemblés. Parmi eux se distinguaient de jeunes et vigoureux Maulinos, reconnaissables à leurs longs cheveux tressés, à leur chapeau conique, à leur ample ceinture, et surtout à leurs poses fières et insouciantes. Le canot voguait rapidement vers la jetée ; déjà l’officier du port prenait son porte-voix pour le héler, et chacun prêtait l’oreille.

— D’où venez-vous ? cria-t-il aux marins qui montaient le canot. — De Londres, répondit le capitaine. — Où allez-vous ? — A la côte de Californie ? — Quelle nouvelle ? — Le roi Ferdinand VII est mort.

Et le canot reprit le large. Ces quelques paroles jetées en passant sur le rivage de l’Océan Pacifique étaient solennelles ; on les accueillit généralement comme le signal d’une réconciliation entre l’Espagne et les colonies émancipées. La nouvelle se répandit rapidement ; il se forma des groupes de gens de la campagne, parmi lesquels on doit compter les Maulinos, et de citadins. On y parlait du monarque mort en des termes différens ; ceux-ci disaient Ferdinand, ceux-là le roi.

Pour être véridique jusqu’au bout, nous devons ajouter que, sur les hauteurs qui dominent le faubourg de l’Almendral à Valparaiso, il s’éleva bientôt un moulin à vent construit par des industriels de Saint-Malo. Jean, que son heureuse étoile avait conduit de l’autre côté des Andes, y trouva à se placer. Guéri de la manie des grandes expéditions, il se résigna de nouveau à tendre ses toiles au vent sur ce riant promontoire, d’où il pouvait encore apercevoir les pics neigeux de la Cordilière.


THEODORE PAVIE.