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l’Europe entière fut spectatrice. Un poète futur construira un poème épique avec les choses et les personnes qui furent engagées dans cette lutte de cour. L’Hélène de cette Iliade, la cause de cette conflagration formidable au milieu de la paix, — si jamais la paix a régné à la cour, — ce fut encore Mme la comtesse Du Barri. mais Mme la comtesse Du Barri demandant au roi Louis XV une faveur inouie, monstrueuse pour le temps, une faveur dont la pensée seulement aurait, cinquante ans auparavant, fait envoyer en exil celle qui l’aurait exprimée.

Quelque perdue de mœurs que fût la cour depuis la régence, elle n’avait jamais consenti au moindre relâchement de l’étiquette. Les écrous en diamant posés par Louis XIV sur les rouages de la monarchie n’avaient subi aucun dérangement, aucune altération. La monarchie entière, bien ou mal équilibrée, restait debout dans toute sa raideur et toute son inflexibilité. Sans doute, les marquis s’encanaillaient, mais la canaille ne devenait pas marquise. Parmi les distinctions les plus hautes, la plus haute, depuis trois siècles, était celle d’être présenté à la cour. Quel honneur rare et mémorable ! voir face à face le roi au milieu de sa cour, la reine, les princes, les princesses du sang, les saluer, recueillir leur sourire, leur parler, conquérir le droit d’aller à leurs fêtes, celui d’entrer plus tard dans leur familiarité ! que de grands noms s’éteignaient sans avoir joui de ce privilège presque divin ! Aucune image, nulle expression ne rendra sous notre plume ce qu’il y avait d’auguste, de flatteur et d’effrayant par la majesté dans cet acte solennel, être présenté !

Mme Du Barri voulut être présentée. C’est Jean Du Barri, l’homme de toues les hardiesses, qui lui souffla ce conseil. Il était bon. Rien n’est plus loin de la cour que ce qui est à la porte de la cour ; mais quel pas à franchir ! La jeune et radieuse comtesse murmura d’abord ce désir entre ses jolies dents, et le roi se contenta de sourire. Elle y revint, le roi la plaisanta ; elle mit des intervalles dans ses autres demandes, toujours plus faiblement écartées. Ensuite elle rappela au roi, avec douceur, avec tendresse, avec reproches, qu’elle n’avait que la faveur, sans doute très précieuse, mais précaire, d’être de ses voyages et d’occuper un petit logement dans les combles de ses châteaux ; elle ne montait pas dans ses carrosses, elle ne mangeait pas, elle ne jouait pas avec lui ; aucun prince, aucun ambassadeur, aucun dignitaire n’allait lui présenter ses hommages. Enfin avec autant d’amour pour lui que les demoiselles de Nesle, que Mme de Pompadour, elle ne jouissait d’aucun des avantages accordés sans contestation à ces favorites. Pourquoi cette différence, cette injustice ? Le roi commençait à ne savoir que répondre. On l’assiégeait par bien d’autres côtés. Les Du Barri faisaient imprimer, dans