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les gazettes, afin de préparer le public à l’événement, les lignes suivantes : « Mme Du Barri continue à mériter l’attention de la cour et de la ville. On parle de la présenter. Il y a des paris ouverts à Versailles pour ou contre. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il y aura de grands changemens dans le ministère, si elle parvient à cet honneur. L’éloignement que M. de Choiseul témoigne pour elle ne lui permettrait pas de rester en place. Elle a de son côté MM. Bertin, de Saint-Florentin, le duc de Richelieu, le duc d’Aiguillon et toute la cabale des dévots, qui regarderaient comme une bonne œuvre, n’importe par quelle voie, l’expulsion de M. de Choiseul. » Quelques jours après on lisait dans les mêmes gazettes, payées pour produire le fait comme de plus en plus certain « Le bruit général de Versailles est que Mme Du Barri sera présentée le 3 du mois prochain. » Cerné de, toutes parts, le vieux roi voulut du moins ménager la pente de la chute, ce qui n’était guère plus possible que de comprimer l’effet d’une bombe en la pressant dans les mains. Il crut arriver à ce résultat en donnant à Mme Du Barri les appartenions de Mme de Pompadour dans le château de Versailles. C’était, pensait-il, l’installation et non la présentation ; la cour ne murmurerait pas trop, et la comtesse, à demi satisfaite, patienterait. Hélas ! la concession fut doublement méconnue. La comtesse ne patienta pas, et M. de Noailles, chargé du gouvernement du château, osa élever la voix. Louis XV fit taire M. de Noailles, c’est vrai, mais il consentit ouvertement à la présentation, qui fut fixée au 25 janvier.

Il est inutile de dire, on l’apprend assez par les faits, que le roi était de plus en plus épris de Mme Du Barri. C’était une fascination, un aveuglement complet. Le cœur, les sens, la raison, étaient captivés chez lui au point de le rendre sourd à toutes les prières qui lui étaient adressées par ses proches pour le détourner de souscrire à cette scandaleuse présentation. Il résista aux sollicitations comme aux railleries. Voltaire lui-même se mit à la croisée de son château, et lança sournoisement du fond de Ferney quelques vers moqueurs contre les amours d’un souverain, son ennemi éternel. Les Choiseul n’avaient pas été étrangers à ce coup de griffe du grand homme ; mais le vieux renard, se ravisant bien vite, flairant l’avenir assuré à la favorite, changea brusquement de ton, nia les vers et prépara sa plus belle prose à facettes pour complimenter bientôt celle qui sut lui pardonner, ou mieux encore ne se souvenir de rien : ce fut fort sage de part et d’autre. Voltaire comprit qu’il fallait se conduire avec Mme Du Barri comme avec Mme de Pompadour. Tant pis pour les Choiseul ! s’il n’y avait pas d’amis, il n’y aurait pas d’ingrats : pourquoi y a-t-il des amis ?

La présentation aurait donc lieu, et c’était Mme de Béarn qui serait marraine. On sait que chaque personne présentée à la cour était patronée