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livra Ledoux aux prises avec sa création. Nous avons entre les mains quelques-uns des plans de cet ingénieux architecte ; le plus singulier n’est peut-être pas celui-ci. Il se proposait d’élever devant le pavillon, à quelques pas de distance, une arche colossale en briques rouges, brisée à l’une de ses extrémités. Par l’ouverture de cette arche, qu’on voit sur le lavis couverte de lichens, de mousse, de liserons et de pampres écarlates, on aurait aperçu comme au fond d’un entonnoir ou au bout d’une lunette le pavillon de Luciennes, sa façade blonde, ses quatre colonnes d’opale et sa galerie aérienne. Ledoux empruntait à l’Italie, en y ajoutant beaucoup du sien, cet arrangement architectural, très prétentieux, concevable cependant en Italie, où le soleil se prête comme un or ductile à toutes les combinaisons ; mais cette alliance de l’architecture et de la lumière au profit de la perspective devient impossible et même ridicule dans un pays de brouillards et de pluie, où il y a déjà assez d’ombre et d’humidité sans qu’il soit besoin d’en inventer à plaisir. Ledoux renonça à son arche et se contenta d’édifier le pavillon tel que nous le voyons aujourd’hui.

Ce gracieux pavillon, dont la forme est carrée, est orné de quatre colonnes cannelées d’ordre ionique d’un jet élégant et couronnées d’une galerie à jour. De loin comme de près, c’est un temple élevé à Vénus, à Junon ou à Diane ; il faudrait avoir une imagination plus que complaisante pour y voir une habitation possible, quoiqu’on y trouve salle à manger, salon, chambre à coucher, cuisine, cave et même grenier. Ces diverses dénominations bourgeoises ne changent rien au caractère du monument, qui est parfaitement grec au dedans comme au dehors, et par conséquent fort peu logeable pour des gens comme nous. Toutes les pièces principales sont circulaires ; cette forme agréable, mais contre laquelle nos meubles anguleux protestent, est la seule beauté qu’elles aient conservée depuis à peine un demi-siècle que Mme Du Barri n’est plus. Ne cherchez autour de vous ni dorures, ni glaces, ni tableaux : tout a disparu. Les murs seuls sont restés ; ils sont, il est vrai, dans un état de conservation qui étonnerait beaucoup, si l’on ignorait que ce pavillon a presque toujours été occupé. Entre les fêtes étincelantes données par Mme Du Barri et les soirées dramatiques données par un de nos députés contemporains, dernier locataire de Luciennes, on ne peut guère placer de mauvais jours que ceux de la terreur, la propriété avant toujours appartenu à des gens riches, d’heureux loisirs ou de condition élevée.

A droite et à gauche du pavillon, on voyait, à l’extérieur, deux statues de marbre d’une admirable exécution par Allegrain. L’une représentait une baigneuse sortant de l’eau, l’autre Diane surprise par Actéon. Le poète Guichard fit pour ce groupe charmant ce distique :