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Nous avons nommé le Parc-aux-Cerfs. Louis XV conserva pendant trente-quatre ans cet étrange établissement, dont le nom seul fait monter le sang au visage des pères et les larmes aux yeux des mères effrayées ; il l’entretint jusqu’à sa mort, malgré les nombreuses maîtresses qu’il eut, malgré la dernière de toutes, Mme Du Barri, qui ne lui en parla jamais, grande preuve chez elle d’esprit et d’habileté. Le Parc-aux-Cerfs, qui est encore mal connu, était un endroit solitaire, silencieux, lugubre comme un abattoir. C’est là que le roi, sans suite et à l’entrée de la nuit, allait commettre ses plaisirs. Il en avait tellement pris l’habitude, qu’il avait fini par se croire quitte envers Dieu et les hommes en dotant les jeunes filles flétries dans cet antre. Le Parc-aux-Cerfs coûtait près de trois cent soixante-dix mille francs par mois, ce qui fait pour trente années d’existence plus de cent cinquante millions.

Louis XV aimait beaucoup les fraises et les framboises de Luciennes, renommées à bon droit sur nos marchés, et la seule richesse territoriale, je présume, de ce joli pays. Mme Du Barri, pour lui plaire, avait soin, l’été, à chacune de ses visites, de lui en cueillir une assiette, comme c’est elle aussi, dans leurs tête-à-tête voluptueux, qui préparait quelquefois le café avec son cher La France, petit nom d’amitié, on le sait, qu’elle donnait hardiment à Louis XV. Après le déjeuner, Louis XV passait au salon et allait s’asseoir dans un fauteuil, près des croisées qui s’ouvrent du côté de la Seine, au-dessus de la fameuse machine de Marly, considérée alors comme la huitième merveille du monde. Nous ignorons s’il éprouvait un plaisir bien vif à promener ses yeux sur le paysage étendu devant lui, et s’il pensait en ce moment que de toutes les jouissances que son or et sa puissance lui procuraient, ce paysage divin serait la seule jouissance dont nous hériterions après lui, sans lui envier beaucoup les autres. Quand l’esprit du mal essaya de séduire le rédempteur par le spectacle du monde qu’il lui offrait s’il voulait être à lui, il ne dut pas ramasser sous les paupières célestes et dédaigneuses plus d’air rose et pur, plus d’eaux transparentes, plus de campagnes fleuries, plus de bouquets de bois cachés sous des réseaux de lumière. Et par un privilège particulier, chaque morceau de cet immense terrain est pour les yeux qui pensent un souvenir de notre histoire. Regardez et rappelez-vous. C’est à l’horizon Saint-Germain, pavillon de fête de nos rois. Là naquit Louis XIV ; entre ce groupe d’arbres qui frissonnent et ces oiseaux qui passent ; à droite, à vos pieds, s’éparpillent les maisons blanches de Bougival, Bougival où repose Rennequin Sualem, cet habile homme qui fit monter l’eau de la Seine dans les airs pour la répandre dans les bassins de bronze de Versailles, l’inventeur de la machine de Marly. A gauche, sous ce nuage blanc, Maisons, où Voltaire, ce grand financier, écrivit de si belles choses, où M. Laffitte, ce poète en politique, logea son orgueil et ses regrets. Plus près, la Malmaison, où Delille